PRÉCÉDENT

Le Soleil, 7 octobre 1884

SUIVANT

URL invalide

Le Soleil
7 octobre 1884


Extrait du journal

Rien ne se perd à Paris, et bien des pauvres gens font leurs choux gras, peut-être sans s’en douter, avec les res tes que l’on ne jette pas au ruisseau. Dans cette ville immense, où l’on dé pense beaucoup, il est permis aussi de vivre à très bon marché, quand on n’est pas difficile, et quand on se soucie pen de la provenance. C’est l’étonnement des gens de la province de voir les prix affi chés à la porte de certains restaurants, et les interminables menus écrits à la craie, par des artistes, sur un grand ta bleau noir. « Comment, disent-ils, on prétend qu’il n’est pas possible de vivre à Paris, et voilà des gens qui, pour vingt ou vingt-cinq sous, et même moins, vous donnent un potage, deux plats, un dessert, du vin et du pain à discrétion. Mais, que faut,-il donc aux Parisiens, pour quîls soient contents? » Et les gens de la province entrent , s’attablent, sont surpris de l’élégance confortable du local et de la propreté du linge. Une fois installés, ils cherchent, sur la carte, des choses qu’ils n’ont pas 1’habitude de manger chez eux, de petits plats fins, dont la liste est longue, et ils s’en lèchent les lèvres, se promettant bien de revenir, dans un endroit où Ton trouve de si bonnes choses, et pour pas cher. Je crois bien que leur jubilation et leur satisfaction seraient moins grandes, s’ils en connaissaient la pro venance. Nulle part on ne sait mieux qu’à Paris l’art d’accommoder les restes et comme, nulle part, on ne trouve plus ! de restes qu’à Paris, voilà l’explication de la merveilleuse cuisine. Les Parisiens malins, et qui n’ont pas grand’ chose à dépenser, pénètrent aussi dans cos restaurants, mais on ne les y aime guère, parce qu’ils ne se laissent pas prendre aux séductions de la carte. Ils trouvent plus de sécurité, et aussi plus de nourriture saine, dans le simple rostbeaf et dans le vulgaire gigot. Le bœuf est un peu dur, et le mouton quel que peu nerveux. Il est possible même que parfois on ait exprimé une grande partie du jus de la viande, avant de la faire cuire, mais il en reste toujours un peu, et si, après les deux plats, la faim n’est pas calmée, le Parisien complète avec un bon morceau de fromage, tout en riant, en lui-même, de ses voisins qui s’ingénient à commander les choses les plus extraordinaires, déjà parues, la veille, sur les tables- des restaurants supérieurs, qui, le lendemain, vendent leurs restes, au poids, aux Vatels des petites bourses. Mais, comme ceux-ci, en dépit de la modicité de leurs prix, sont bien loin d’avoir la certitude d’écouler toute leur marchandise, ils revendent à leur tour. Et où cela va-t-il? Je n’en sais rien au juste, mais on en retrouverait certaines quantités, j’imagine, dans quelque coin des Halles, que l’on nomme, je crois, le coin des arlequins, et où, pour quelques sous, l’on peut se procurer de tout, jus qu’à de la volaille. Dame! ce n’est pas appétissant, les carottes et les pommes de terre sont loin d’avoir un aspect en gageant, et les morceaux de viandes de toute sorte, entassés sur les assiettes, ne disent rien à des estomacs remplis. Mais, ce sont précisément les estomacs vides qui vont ià et choisissent leur dé jeuner, pour le manger sous le pouce, car on y trouve du pain également, re cueilli dans les restaurants et dans les bouchons, sur ou sous les tables, par tout, dépouillés, autant que possible des souillures ramassées sur les parquets ou sur les tables humides. Que de pauvres gens mangent ainsi, à Paiisl J’y en ai vu faire leurs provi sions de plusieurs jours, ou prendre, tout d’un coup, un repas de famille. Ceux-ci sont encore relativement moins malheureux. Mais ceux qui, affamés, viennent d’obtenir quelques sous de la charité d’un passant, c’est eux qu’il faut voir accourir, empressés, et ne prenant même pas le temps de choisir. Peut-être deux sous de pommes de terre frites vaudraient-ils mieux; mais la truffe de Parmentier ne tient pas au corps, com me une tranche de bouilli, si desséchée qu’elle paraisse. La viande, voilà ce qui manque réellement aux malheureux; et combien n’en mangent peut-être pas une fois, dans le courant d’une année 1 Et pourtant la misère n’est pas, à Paris, ce qu’elle est à Londres, du moins, elle n’offusque pas les regards des étran gers; elle ne marche pas, en guenilles et pieds nus, à# travers les rues et les places publiques. Et cependant, le nombre y est grand de ceux qui, n’ayant peut-être pas beau coup mangé la veille, ne savent point si la journée ne se passera pas encore sans qu’ils aient quelque chose à se mettre sous la dent. Et comme ils doi vent porter envie à ces heureux qui peuvent pénétrer dans les restaurants à ,bon marché et dévorer les reliefs re...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

En savoir plus
Données de classification
  • marchi
  • ferry
  • detré
  • courbet
  • young
  • gette
  • bric
  • gambetta
  • hervé
  • etranger
  • france
  • paris
  • angleterre
  • egypte
  • europe
  • bruxelles
  • pékin
  • chine
  • arpajon
  • soudan
  • la république
  • parti libéral
  • parlement
  • république française
  • journal officiel
  • sénat
  • soleil
  • forces françaises