Extrait du journal

DISCOURS DE MINISTRES Dans la multitude des discours que les fondateurs de groupes républicains ré pandent sur le pays depuis une quinzaine de jours, il y en a de fort amusants. Mais les plus drôles sont toujours ceux des ministres : ces hommes d’Etat gardent leur supériorité même dans le genre co mique. . . ; Il est impossible, par exemple, de ne pas goûter le lyrisme de M. Terrier, mi nistre’ du commerce et de l’industrie, s’écriant à Dreux : « La France, messieurs, n’a jamais été si grande, si puissante, si noble ; ah ! c’est en France qu’il fait le meilleur vivre ! »— En France où, des fonctions honorables mais modestes de rat-de-cave, on passe à peu près sans transition, sans préparation, aux fonc tions plus importantes de ministre, par la toute-puissance de la Maçonnerie. Tombé d’un casier des contributions dans le gouvernement, comme il y serait tombé de la lune, M. Terrier s’admire. Il est l’inventeur d’un impôt « progressif dans la base et proportionnel dans les chiffres » qui trouble le sommeil des ma thématiciens et des économistes. Il se soutient devant la majorité par des dé clamations démagogiques qui excitaient, encore jeudi dernier à la Chambre, l’indi gnation de la droite. Il touche à la gloire. Ah! la Bourgogne était heureuse, quand elle avait pour duc une noble tête de vieillard. Mais la France est bien plu» heureuse, aujourd’hui, d’avoir M. Terrier pour ministre. Jamais la France « n’u été si noble et si puissante » que depuis l’élé vation de M. Terrier. Et si M. Terrier prospère, c’est bien « en France qu’il fait le meilleur vivre ». Cette ingénuité n’est pas à moitié plai sante. Pendant que son collaborateur se gon flait à Dreux, M. Dupuy, président du conseil, se dégonflait prudemment dans le Tarn. Le discours d’Albi rachetait par sa platitude les rodomontades de Toulou se. Il n’est pas tout à fait vide, pourtant; il contient aussi quelques perles. C’en est une que cette phrase du moderne conso lateur de nymphes : « Dans un pays de suffrage universel, obéir à la loi est le devoir de tous les ci toyens, isolés ou groupés, individus ou associations, sans distinction de situations, sans acception de personnes. » Cette doctrine est à coup sûr édifiante ; elle est le fondement de l’ordre social dans tous les pays qui vivent sous un gouvernement légitime et régulier. Mais elle prend la tournure d’une mauvaise plaisanterie quand elle est formulée d’un ton sérieux, d’un air de pince-sans-rire, par le ministre de l’intérieur et le chef d’un cabinet républicain, dans un endroit où la loi fut impunément bravée l’an der nier, dans un moment où la loi souffre « toutes les distinctions de situations, toutes les acceptions de personnes ». Il y a des situations et des personnes, dans la France républicaine, qui sont soumises aux lois, à la rigueur des lois, à l’injustice des lois. Il y a des situations et des personnes qui sont au-dessus de toutes les lois. « Nous poursuivons qui nous feulons, quand nous vouions », déclarait naguère le chef d’un parquet de Normandie. Et ce mot d’ordre do la magistrature est le mot d’ordre de tous les agents du pouvoir, à quelque degré qu’ils soient placés, de .quelque puissance qu’ils soient investis. Les ministres, qui leur donnent la con signe, leur donnent aussi l’exemple. Qu’une commune quelconque, après -avoir fait face à toutes les dépenses de sou budget et s’être assuré d’un excédent de recettes, s’avise d’en disposer en fa...