Extrait du journal

parut interminable ; elle piétinait sur place, ne savait que devenir dans son impatience ; enfin elle s’en alla très loin arracher quelques planches à une palissade pour compléter sa porte. Grâce à ce larcin, le patron Jaquet parvint à charpenter un assemblage grotesque bardé de pièces, noir de clous ; quelque chose d’informe et d’innomable. 11 contempla son travail d’un œil hésitant : — Hum ! fit-il, nous mettrons ça en place de main. Et il s’en alla souper. Mais la mère Chuquet ne voulait pas re tourner à la caverne sans sa porte; une défiance la retenait là. Et tout à coup elle se décida à l’emporter elle-même, à l’instant, sans attendre personne. La charge était lourde : elle pouvait à peine la soulever; elle s’y attela comme une bête, la traînant derrière elle, haletante, un bout sur ses épaules, l’autre raclant la terre. Les tendons de ses bras maigres saillaient sous sa peau sèche, la sueur collait sur son visage les mèches raides de ses cheveux gris; elle mit deux heures à parcourir un quart de lieue. Comme elle arrivait enfin, exténuée, les yeux troubles, à l’endroit delà falaise où.débouche le sentier, elle comprit que jamais elle ne pour rait descendre toute seule cette masse pesante et, l’ayant déposée dans l’herbe, elle s’accroupit à côté et jusqu’au matin compta les heures. Le patron Jaquet tint sa promesse. C’était un homme avisé. Au moyen d'une corde il fit glisser la porte du haut de la falaise sur la corniche; puis il creusa deux trous dans le roc pour y sceller des gonds, un autre pour recevoir le pêne de la serrure. En une heure tout fut terminé. — Voilà votre affaire, la mère, fit-il ; ça s’ouvre en dehors comme une écoutille, le vent aura moins de prise; et il ajouta, en faisant jouer la clef : ça ferme comme un coffre-fort, vous n’aurez plus rien à craindre des voleurs. La mère Chuquet le laissa dire, indifférente...