Extrait du journal

s’allient les tissus éclatants, les fonds crus, les des sins ramagés, vous arriverez peut-être à un résul tat harmonieux et pittoresque à force de sentiment de la couleur et de goût dans l’arrangement, tandis qu’avec les mêmes éléments, une personne malha bile ou n’ayant pas assez le sentiment de ce qui lui sied n’arrivera qu’à se donner les airs d’une per. ruche à qui il est arrivé des malheurs. C’est bien là qu’est la tentation : tirer son triomphe de la diffi culté vaincue, faire éclater une supériorité dont on est sûre dans cet art suprême, ingénu et complexe à la fois, de la coquetterie, et provoquer sur son passage des appréciations flatteuses dans ce genre : « Quelle magicienne, cette madame X...; elle sait tout porter et peut tout poser ; d’un rien, elle donne une tournure ; mais aussi elle ferait entrer dans son attifage, sans en paraître surchargée, tous les tré sors de la reine de Saba. » ~ ; > Il y a pourtant un revers à ces chefs-d’œuvre de la parure féminine; c’est que la toilette à sensation a été du premier coup étudiée, inventoriée, détaillée par les plus distraits. La convention théâtrale, dans une pièce à succès, permet de la porter cent cin quante soirs de suite. Dans le monde, ce n’est pas la même chose. Toutes les soirées y ont un public de première représentation. La femme qui reparaît sans avoir laissé s’écouler un assez long intervalle avec la robe qui avait excité des enthousiasmes et des jalousies fait la partie belle à la réaction et aux revanches. Quand on a savouré les joies d’une pa reille entrée, quelle imprudence d’y revenir ! Il au rait fallu trouver du nouveau. Il est assurément des courages que la tâche ne rebute pas; mais les grands coups ne peuvent se frapper sans relâche. Ce n’est pas seulement une question de budget; si inépuisables que puissent être les ressources, ou si peu disposé qu’on soit à compter, jusqu’à nouvel ordre, encore faut-il le loisir de la réflexion. Coutu riers et couturières ont pour mission de venir en aide à l’imagination paresseuse des clientes; pour arriver à un résultat tout à fait remarquable, il faut, depuis le choix des étoffes jusqu’au dernier es sayage, une part de collaboration, de méditation même de la mondaine qui doit combattre en personne. Il est un âge où cela ne déplaît pas, et où l’on s’accommode volontiers de ne faire dans les salons que des apparitions espacées pourvu que l’amour-propre n’essuie point de mécomptes. Ce n’est pas au même degré la philosophie de la jeu nesse qui est animée d’instinct du désir de plaire, mais qui ressent avec plus de vivacité encore celui de s’amuser. Courir de fête en fête lui paraît l’agré ment suprême, et comment faire s’il faut toujours attendre quelque nouvelle découverte? L’idéal, c’est d’avoir deux ou trois toilettes passe-partout, la blan che, la rose, la bleue, qui ne prêtent pas aux des criptions techniques, mais auxquelles une variante improvisée, un bouquet, une guirlande de fleurs, une transposition de dentelles, donne du jour au lendemain un aspect de nouveauté. Voilà pourquoi, à la requête des jeunes filles, les mamans avaient juré naguère que les réceptions seraient sans faste, les toilettes sans fracas, mais qu’on se divertirait tout le temps. Ces résolutions, à en croire les chro niqueurs brevetés du grand monde, n’ont pas eu tout l’effet qu’on s’en promettait. Au contraire, suivant quelques-uns. Il y aurait des salons des colonies étrangères où l’on ne se contenterait plus de donner des fêtes somptueuses aux invités, mais d’où l’on ne laisserait plus sortir personne sans quelque souve nir de valeur. A cette heure, on annonce une nouvelle tentative. C’est aux eaux et aux bains de mer que l’on va rom pre avec le luxe effréné des femmes, comme disait l’homme aux souliers ferrés, l’austère Dupin aîné, austère en un certain sens, car s’il eût volontiers porté des lois somptuaires contre les travers qui poussaient à la dépense, il avait une haine au moins égale contre les scrupules qui nuisaient à l’encaisse ment. Il est donc annoncé par les oracles de la mode que cet été il faut s’habiller simplement sur les pla ges. Oh! nous serons très loin, nous dit-on, des quatre toilettes par jour, dont il fut tant parlé. On n’en aura qu’une pour toute la matinée et une seconde pour le dîner ; ah ! par exemple, si l’on va passer la soirée au Casino, il en fau dra bien une supplémentaire. Bien : la troisième, si l’arithmétique n’est pas un vain mot. Il n’est parlé là-dedans ni des excursions, ni des jours de courses, ni des visites entre voisins de villégiature ; nous sommes tellement loin des quatre toilettes par jour, qu’on voit sans grand effort poindre la cinquième. On dit, il est vrai, peu de bijoux, peu de dentelles à la fois ; le luxe, dans ces cas-là, se venge par l’inter diction de porter plusieurs fois de suite les mêmes bijoux ou les mêmes dentelles. Les maris, bons ad ministrateurs de la caisse familiale auraient donc tort de croire que la fameuse invocation de M. Sardou à sainte Mousseline a produit, au bout de vingt ans, une impression définitive. Au point de vue es thétique, si c’est aux couleurs voyantes que l’on veut faire la guerre, ce n’est pas sur les plages qu’il eût fallu livrer le combat. C’est là qu’elles se font pardonner. Le reproche qu’on a eu à faire aux mo des parisiennes depuis une dizaine d’années, c’est d’avoir trop souvent autorisé l’invasion des toilet tes de bains de mer le long du ruisseau de la rue du Bac. COURRIER DE LONDRES...