Extrait du journal
s’en rapprocher. Cette nuance de sentimént est sensible, si l’on compare ce dçrnier rapport à celui qu’il rédigeait en 1880 au commencement de la réforme, dont on venait d’arrêter alors les grandes lignes. Certes, le progrès est considérable depuis cette date à l’heure actuelle. Dans toutes ses parties renseignement a gagné; il s’est formé une élite de professeurs et de maîtres dont l'ac tion bienfaisante s’élargit tous les jours. Mais ce progrès s’est fait surtout en surface et dans l’instruction ou l’enseignement scientifique pro prement dit. On sait plus d’arithmétique, de géographie et d’histoire. On met plus de choses et des choses mieux comprises dans la tête des enfants. M. Pécaut n’estime pas que ce soit as sez. L’éducation de l’homme est-elle mieux faite à l’école? Education de l’intelligence, for mation de la raison, culture morale, tous ces biens de l’âme pour lesquels il n’y a pas de statistique objective ni de sanction dans les examens publics, sont-ils véritablement en progrès ou en décadence ? « Personne n’imaginera, dit excellemment M. Pécaut, que notre prospérité et notre salut • soient sensiblement affectés par un savoir accru en mathématique, en dessin, en sciences, si tou tes ces études ne sont fermement dirigées en vue de former la raison et la moralité publi que ». C’est ce qu’en d’autres termes M. Challemel-Lacour répétait encore hier au Sénat : « Nos écoles pécheraient par la base, si la con science des enfants n’y était pas l’objet de la même sollicitude que leur intelligence ou leur raison. » Il y a partout, constate M. Pécaut, bon vouloir chez les instituteurs, du travail et du savoir. Ce qu’il n’y a pas au même degré, c’est la culture intérieure de l’âme, c’est le goût des choses de l’esprit, c’est le souffle inspirateur et vivifiant. Ce qui manque à notre éducation na tionale, c’est donc une âme assez puissante, c’est-à-dire une foi assez ferme pour la relever de la vulgarité où elle se traîne et lui ouvrir de larges horizons. Le rapport de M. Pécaut n’est plus aussi clair ni aussi décisif lorsqu’il touche à cette question où l’on vient toujours buter : cette âme, cette foi qui manque à l’école, comment la lui rendre ou la lui donner, car nous croyons bien qu’elle ne l’a jamais eue? Il compte sur la belle littéra ture, la grande poésie, la musique, le chant; il veut que l’on fasse tout concourir à l’éducation morale de l’âme du peuple et des enfants. Si nous essayons de nous rendre compte de sa so lution, il nous paraît qu’on peut la définir : une religion morale intense se manifestant et se propageant par l’esthétique, une sorte de fusion généreuse de la morale et de la poésie. Nous ne doutons pas que ce breuvage exquis, distillé de ■toutes les belles littératures et des grandes créa tions de l’art dans toutes les époques et dans toutes les races ne fût très favorable à la santé et à la culture morales de ceux qui pourraient se le procurer et s’en abreuver à l’aise. C’est le nectar des Olympiens. A peine les étudiants de l’enseignement supérieur y peuvent-ils attein dre. De quel emploi, de quel effet pourrait-il être dans l’école primaire et pour de petits en fants à qui l’on a toute la peine du monde à ap prendre à lire et à écrire et dont la plupart, après douze ans, ne liront ni n’écriront plus? Il nous semble que ces âmes enfantines et populaires ont besoin d’une nourriture plus élémentaire, plus substantielle, fût-elle de forme moins éthérée. Si l’on ne veut pas se perdre dans les subtili tés et dans les nuages, qui ne servent à rien ici, il faut descendre des hauteurs de l’idéalisme esthétique et se mettre bien en face de la réa lité. La réalité, c’est que, sous couleur de neutra lité religieuse et malgré les programmes, on a fondé l’éducation morale à l’école depuis dix ans et plus sur la morale' du positivisme scientifique, c’est-à-dire sur l’affirmation de la dignité de l’homme, l’amour de la patrie et le respect ou l’adoration de l’humanité. Or,.tandis qu’à l’école on présentait à l’enfant une image glorifiée de l’homme, de la patrie et du genre humain, en entrant dans la vie, en lisant les journaux, en fré quentant les réunions publiques et l’atelier ou le cabaret, l’enfant devenu jeune homme, appre nait tout d’un coup que l’homme était un animal très méchant et très corrompu, que, dans cette patrie qu’on lui montrait si belle, on n’arrive aux honneurs et à la fortune que par l’intrigue ou la violence, que cette société humaine enfin qu’il devait révérer et en qui il devait mettre sa confiance est toute pleine de vices, d’iniqui tés et de souffrances imméritées. Quel contraste entre ce que lui prêchent ses maîtres et ce que l’expérience de chaque jour lui présente I La vérité, c’est que l’école, malgré ses misères, vaut encore infiniment mieux que la société adulte qui l’entoure et que l’enfant perd sa foi dans l’homme et dans l’humanité en passant de l’une à l’autre; Telle est la cause secrète de la déception que donne et que donnera toujours la seule morale positiviste enseignée à l’en fance. Le Dieu d’Auguste Comte, c’était l’hom me. Or, l’homme est un dieu auquel on cesse de croire, que l’on cesse même d’aimer, dès qu’on l’a connu, à moins qu’on ne trouve, en dehors...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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