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Le Temps, 26 juin 1898

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Le Temps
26 juin 1898


Extrait du journal

LE CENTENAIRE DE MICHELET On cherchait le moyen de vivifier et de rafraî chir la fête nationale du 14 juillet, surtout d’en relever un peu le caractère et l’esprit. Le gou vernement a pensé y réussir en y joignant, cette année, la célébration, par la jeunesse française, du centenaire de Michelet. Nul ne disconviendra que la pensée est heureuse. Le ministre de l’instruction publique, M. Rambaud, l’a expliquée et justifiée dans une circu laire qu’il a eu du plaisir à écrire et qu’il aura du plaisir à se rappeler comme le dernier acte d’un longue et honorable administration. Lé nom de Michelet s’associe tout naturelle ment aux grands souvenirs de la Révolution française. C’est plus qu’une gloire nationale, c’est un symbole. II représente l’union intime de ces deux grandes forces de notre temps : la démocratie, et, dans la démocratie, l’aspiration généreuse vers un idéal de liberté, de justice et de lumière, le double élan par lequel la France brise les chaînes du passé et ouvre la route.de l’avenir. Chez aucun autre, peut-être, la révolte contre toutes les servitudes et les abus ne fut plus sincère, ni la foi dans les principes du droit nouveau plus candide. Une âme d’en fant dans l'esprit vigoureux et mâle d’un grand citoyen. M. Rambaud rappelle en particulier ce livre du Peuple que Michelet écrivait en 1846; il en conseille à tous les instituteurs la lecture et la méditation. Rien ne peut être plus propre, en effet, à nous arracher aux mesquins spec tacles du temps présent, à élever les esprits et les- cœurs vers des horizons trop oubliés, à montrerce que c’est que l’amour généreux de ce peuple que tant de charlatans dupent et .ex ploitent, et comment il en faut comprendre et diriger l’éducation. Il est des hommages à des gloires stériles ou même dangereuses; mais il est aussi des cultes qui sont, des actes. moraux, des actes féconds, parce qu’ils impliquent avec l’exaltation la plus saine du sentiment patrioti que, un sérieux examen_de conscience. Si le nom de Michelet symbolise la foi et les vertus.de la démocratie moderne, il symbolise aussi l’idée de patrie. En écrivant l’histoire de la France, il en a vécu la vie et la destinée de puis les origines. Son cœur bat sous toutes les pages de son œuvre. Il a partagé toutes les tris tesses, toutes les joies, toutes les espérances des générations qui se sont succédé sur notre sol.il a admiré cette grande patrie dans ses revers et dans ses gloires. Et ce sentiment de pieuse et ardente affection «. n’assure pas seulement, comme dit M. Rambaud, l’immortalité à son œuvre » ; il donne encore à la commémoration de sa mémoire une vertu éducatrice d’une portée véritablement nationale. Aussi ne doutons-nous pas que la jeunesse des écoles et les maîtres de l’enseignement pu blic à tous les degrés ne répondent avec entrain à cet appel et ne s’empressent de toutes les ma nières à organiser sagement et à faire réussir cette manifestation qui sera moins la glorifica tion d’un .grand homme q ue celle des plus pures et des meilleures aspirations de l’âme française. Il ne s'agit pas d’un simple jour de récréations et d’amusements de plus; il s’agit de donner à la fête du 14 juillet une signification morale, d’y mettre quelques grandes et généreuses idées en sorte que les esprits soient réconfortés dans le même temps que les corps se délassent. Voilà pourquoi les conférences scolaires et populaires que le ministre recommande d’instituer partout, sur l’œuvre de Michelet, sont aussi une chose excellente, puisque c’est le moyen de faire cir culer les idées et de parler à l’esprit et au cœur des générations nouvelles. La fête de Michelet sera ainsi la fête vraiment religieuse de la pa trie. Puisse-t-elle avoir l’effet qu’on est en droit d’en attendre I II est quelques grandes idées qui formaient le credo libéral de nos pères et qui semblent vaciller et s’obscurcir au milieu de nous ; en particulier celle-ci : « Les consciences libres dans la patrie libre ». Que de menaces à cette double liberté s’élèvent de presque tous les côtés de l’horizon à la fois! On l’attaque au nom d’un socialisme autoritaire et niveleur, au nom des idées de race et de solidarité nationale, de discipline militaire et d’unité religieuse. L’in dividualisme qui fonde seul la dignité morale du citoyen est dénoncé par des voix puissantes comme l’ennemi public; le parlementarisme qui est la seule forme moderne d’un régime de li berté politique devient de plus en plus un objet de dédain où de mépris,par la faute, hélas! de ses tenants plus encore peut-être que par les insul tes de scs adversaires. Ce siècle vraiment sem ble devoir finir sous la nuée sombre. Plus que jamais nous avons besoin d’entendre les grandes voix du passé, de les écouter et de les honorer. Honorer Michelet, ce sera honorer tout ce que Michelet a aimé et prêché durant sa longue vie; ce sera honorer la liberté conquise, la justice mise au-dessus de tout, la lumière de l’idéal humain planant sur toutes nos agitations et nos luttes ; ce sera encore et surtout honorer cette démocratie française dont Michelet a été l’un des meilleurs enfants et l’un des plus illustres...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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