Extrait du journal

pour une des gloires sans statue de la Tou raine. Tout en ayant l’air d’être fort occupée de faire des provisions en ménagère modèle, elle promenait ses regards sur la foule, cherchant dans la forêt de petits bonnets blancs qui s’a gitaient sur le marché un visage qu’elle comp tait bien rencontrer. Elle l’aperçut tout à coup fort attentif à une négociation de poulets, et se glissant aussitôt d’un pas léger entre des ânes qui chantaient à leur manière leur joie ou leur ennui d’être à la ville, elle marcha droit à la personne qu’elle était venue chercher. — Bonjour, Marais, dit-elle gaiement. — Vous ici, Mme la baronne! répondit en s’arrêtant court au milieu de ses affaires la vieille bonne d'Irène. — Vous voyez, ma chère : je marchande, j’achète, je fais remplir ma voiture. Mais il y aura une place pour vous jusqu’à Méval. Avezvous fini ? Moi c’est fait ; nous partons. — Madame la baronne est trop aimable, dit la bonne femme ; mais si elle m’emmène, où mettrai-je mes paniers? — Avec les miens, dans le coffre de la voi ture, il est grand. Venez. Et elle la fit monter avec elle. De Chinon au château de Méval il y a plus d’une lieue, et les côtes assez raides exigent que les chevaux n’aillent guère qu’au pas. On avait le temps de causer. — Comment va M. de Méval? demanda la baronne dès que la voiture se fut mise en mou vement. La vieille Marais secoua la tête sans répon dre autrement. —Voyons, Marais, qu'y a-t-il donc? dit la jeune femme d'un ton sérieux. Nous sommes seules. Vous savez combien j’aime vos maîtres et en particulier notre chère Irène. Tout ce qui a eu lieu au château s’est passé devant moi. Je sais en outre bien des choses graves que je dirai à Mme de Méval et que vous saurez ensuite. Mais il y a une chose que je ne sais pas et qu’il est de l’intérêt le plus pressant de toute la fa mille que je sache d’abord. L’honneur d’Irène aux yeux de tous, la santé de M. de Méval, le bonheur de la comtesse en dépendent. Cette chose que j’ignore vous la savez et c’est pour l’apprendre de vous, avant de parler à votre maîtresse que je suis venue. Vous connaissez ma discrétion: Répondez-moi donc en toute confiance. Que s’est-il passé à Méval, il y a deux ans? Pourquoi le projet de mariage d’Irène avec le vicomte de Valbrenne a-t-il été rompu? La vieille bonne, qui était dévouée à l’orgueil...