Extrait du journal

Ce qui n’est pas même une heure detravail pour la grande majorité des autos est une tâche effroyable pour un cheval. Bagatelle pour l’un, éreintement pour l'autre. Celui-ci sort fourbu de ce qui suffit à peine pour mettre l’autre en appétit. On ne s’étonnera donc plus que souvent les chevaux de fiacre manquent d’entrain. Ils pensent à leurs confrères privilégiés de la vie qui ne sont astreints qu’à "'uirnir. et entore pas tous les jours, la moitié ou le quart à peine de ce qu’on les a contraints de faire en une journée. Nulle jalousie n’entre dans leurs sentiments mélancoliques ; l’envie est uniquement le propre de l’homme et du chien, son digne camarade. Mais il y a du découragement dans leur cas. Ils sentent qu’ils travaillent beaucoup et qu’ils ne mangent pas assez. Car ce cheval qui a parcouru ses quinze lieues n’a même pas la quantité d’un plein boisseau d’avoine ; on lui en chicane un ou. deux litres sur cette ration moyenne qui représente à peine l’humble bifteck aux pommes de chez Duval. Enfin, il a lo pressentiment qu’il mourra jeune ; les bêles ont comme les gens cette notion, mais elles ne savent point s’exprimer; elles ne protestent qu’en rechignant, et alors 011 les fouette, — ou en s’abattant lie bonne fois, et alors on les équarrit. Leur visage reste sans expression, et si leurs yeux disent des supplications, nous ne savons pas les comprendre. D’ailleurs, nous avons le soin de leur mettre des filières, sans aucun doute pour ne pas nous laisser attendrir....