Extrait du journal

Je ne sais pas pourquoi, chaque fois que je raconte une histoire de mon service militaire, je n’ai pas plus tôt prononcé ces mots : « Cette année-là, j’étais aux dragons... », que les gens se mettent à rire. Est-ce que je n’ai pas l’air d’un ancien dragon ? Et pourquoi ça semble-t-il une plaisanterie ? Ce u’est pas du tout une plaisanterie : j’ai fait un an de service aux dragons, ainsi que mon livret militaire en fait foi, et que plusieurs de mes anciens camarades pourraient en témoigner. J’ai même une photographie qui me représente en grande tenue et où je suis d’ailleurs assez méconnaissable. A ce moment, ma barbe n’attendait quo le signal pour pousser. Ce signal lui fut donné par le général Boulanger,qui était alors ministre de la guerre, et qui décréta que le port de la barbe était obligatoire. Il fallait entendre par là, non pas que les soldats désespérément imberbes eussent à faire pousser leur barbe, ou à porter des barbes postiches, mais qu’il ne fallait pas décourager par des rasoirs les barbes de bonne volonté : il fut défendu pendant quelque temps de se faire raser. On voulait voir ce que ça donnerait, et quelles barbes sortiraient des mentons. On conserverait les drues ; on renverrait chez le perruquier les indigentes. La mienne fut jugée digne d’être conservée......