Extrait du journal

— Eh bien, dit le docteur, en ces sortes de choses, il convient de se montrer plu tôt indulgent. Là, voyons, lequel d'entre nous ne s'est pis senti un peu voleur au moins une fois dans sa vie ? Le crime reste le même, qu'il s'agisse d'un million ou d'un fétu. Encore, à cause des tentations, le million aurait-il peut-être plus d'excuse. Une déclaration pareille hasardée, mon Dieu 1 en souriant, par un homme aussi universellement considéré que le docteur Exaudi ne laissa pas que de nous sur prendre. Car il était vraiment d'un autre siècle, le docteur Exaudi J fidèle aux anciennes mœurs ainsi qu'aux habits d'autrefois, — lesquels, vaste lévite et pantalon à pont, s'harmonisaient on ne peut mieux avec ses cheveux soyeux et blancs de vieillard sensible évadé d'un tableau de Greuze — il pesait les choses de la pro bité non par grammes mais par scrupules, comme le faisaient pour leurs drogues les apothicaires du bon temps. Sans voir notre étonnement ou fei gnant de ne pas le voir, le docteur Exaudi continua : h — Pourquoi rougirais-je de l'avouer? j'ai volé comme tout le monde. Et, phéno mène inexpliqué : au sujet de ce vol dont }e déshonorant souvenir devrait, même "àprès quarante ans, appeler sur mon front la rougeur et la honte, il me fut toujours impossible de ressentir le moindre re mords. J'éprouve même,lorsque j'y songe, quel que chose comme du plaisir, étant né sans doute avec une âme scélérate à qui seule ment l'occasion d'épanouir ses mauvais instincts a manqué. Où peut conduire cependant l'amour désordonné des faïences i Vous n'ignorez pas que je fus toujours collectionneur. Chacun a ses vices, et je ne dissimule pas les miens 1 Les uns collectionnent les vieux meu bles, les autres les vieilles épées. Certains sont pour lés livres vêtus de belles reliures. La reliure abien soncharme, j'en lusmême un instant féru. La faïence enfin l'emporta, et parmi...