Extrait du journal

sépultures. Mais la mauvaise semence germa dans le sol complice. Elles éclosent, elles s'érigent, elles sont belles, elles sont délicieusement odorantes, les assas sinées: et voici que, dans le jardin, mes regards s'émerveillent et s'épouvantent de leurs revivances épanouies et de mes crimes en fleur t » . Ayant entendu cela, je dis, très sérieu sement: — Croyez bien que je ne vous blâme en aucune façon d'avoir assassiné un certain nombre de jeunes femmes. Si, d'en tuer plusieurs, il n'en devait plus rester sur la terre, il serait prudent d'hésiter devant une extrémité aussi décisive ; car, enfin, on ne saurait nier qu'il est des heures où nous ne revoyons pas sans joie un sou rire, même hypocrite, à des lèvres qui s'entr'ouvent sous le ruissellement des cheveux, pareil à un torrent de fauve au rore ou de noire nuit orageuse. Mais comme, grâce à Dieu, il est ici-bas beau coup plus debellespersonnes que, mêmeen une vie bien remplie, et en des bras mieux remplis encore, on n'en saurait étreindre, il n'y a aucun mal à en. supprimer, de temps en temps, qUelques-unes, qui, en fin, abusèrent, jusqu'à un excès vraiment déconcertant, du droit de trahir que leur concédait notre mansuétude! Donc ne croyez pas, jeune fou, ou, plutôt, adoles cent doué d'une si saine raison, que je sois enclin à désapprouver vos férocités vengeresses; d'autant moins que, sans nul doute, vous n'avez pas manqué, lors que vous étranglâtes, de laisser glisser vos mains cruelles vers les jeunes gorges qui, sur le point d'avoir la frigidité des albâtres, en avaient déjà la résistance. La seule chose qui me surprenne, c'est que vous versiez des larmes en ce jardin où fleuris sent d'équitables vengeances, et vous der. vriez, ce me semble, exulter de joie parmi vos justices accomplies. Il cria : —Semblable à un sauvage qui piétine des ennemis morts et massacrés, et massacrés encore, j'ai longtemps éclaté de rire parmi les vaines résurrections des traîtresses; et je disais : « Oui, oui, vous ressemblez à des fleurs, oui, oui, monstres, vous êtes charmantes encore, et vous êtes belles et vous sentez bon ; mais il n'en est pas moins vrai que je vous ai tuées,bien tuées, et que vous ne nuirez plus jamais aux ten dres coeurs des amants. » Ah ! combien je me trompais. Même mortes, les détesta bles maîtresses ont trouvé le moyen en core d'être désolantes et destructrices ; et je suis la victime de leurs mânes éclos. —Expliquez-vous i implorai-je, effrayé. — Oh ! écoutez ! écoutez ! dit-il. Dans ce jardin qui me vit exercer de légitimes vindictes, des ailes si légères, blanches, roses, dorées, d'où planait une poussière de soleil, voletaient autour de moi, sur mon front, sur mes yeux, sur mes lè vres, et leur frôlement à peine m'était exquisement doux. ( — C'étaient, dis-je, des papillons ? —Non, c'étaient mes songes et mes rêves, et mes espérances même après les déses poirs, et mes illusions même après les illusions déçues ; ce n'était pas plus des papillons que ces apparences de fleurs ne sont des fleurs; c'était, épars au soleil, tout ce que le cruel amour m'avait laissé de cœur, d'esprit et d'âme. Eh ! bien, — ah ! c'est pour cela, pour cela que je pleure — les horribles amantes que je croyais avoir si bien tuées, les perfides femmes ressuscitées en perfides calices, ont, de leurs vé néneux parfums, dispersé, chassé, fait mourir mes rêves, mes rêves, mes rêves, et je pleure à jamais dans le jardin sans ailes ! CATULLE MENDÈS. Reproduction interdite, ' i ÉCHOS...