Extrait du journal

Les diplomates sont des gens admira blés. Depuis lundi, ils se félicitent. Ah! sans nous l’Europe allait s’égorger ! nous l’a vons en dormant, madame, échappé belle ! Les chancelleries de France et d’Alle magne veulent bien nous anprendre que, cette fois encore, ii nous est permis de ne point nous égorger. Grand merci ! mais je vous assure que nous n’en avions nulle intention. Us sont étonnants. Voilà des gaillards qui rassemblent soigneusement toutes les matières inflammables, vont chercher le bois, la paille, y mettent le feu et, sitôt que la flamme brille, ils crient au feu, tout en apportant les fagots, réclament de l’eau et invitent tout le monde à romper. Le brasier éteint, ils se couvrent d’élo ges. Mais savez-vous que le mois dernier on a condamné, à Toulon, un sauveteur professionnel qui faisait comme vous? Ce héros allumait des incendies pour arracher aux flammes des victimes. C’est la prison qui devrait récompenser vos mérites. Je ne demande pas vos têtes, parce que je suis contre la peine de mort, mais Casfillard veut exterminer des apaches dont le plus criminel est moins dangereux cent fois que n'importe que! diplomate. Vous daignez, pour aujourd'hui, nous laisser respirer. (Test gentil de votre part. Mais demain? On dit que nous sommes sur une pou drière? C’est bien plus terrible que cela. Nous ne dormons pas sur des barils de poudre, nous dormons sur notre bêtise. C’est la bêtise des peuples qui rend les diplomates puissants et dangereux. Les journaux les plus chauvins, ceux dont levexcitations, les nouvelles tronquées, les perfidies ont risqué vingt fois d'amener la guerre, sont obligés de reconnaître que le peuple allemand ne voulait pas la guerre. Et le peuple français, donc? Je vous défie quand vous causez n’importe où, en omnibus, dans la rue, au café, de trouver un individu qui ne se récrie pas à la seule idée de se battre à cause des six déser teurs de Casablanca. Eh bien, le péril écarté pour un jour, nous allons nous rendormir. Oh ! j entends bien! Propagande antimilitariste ! Guerre à la Guerre! Oui, mes amis, c’est con venu. Mais si nous sortions un peu des généralités? D’où peut nous venir la guerre ? Pas de Suisse, n est-ce "as r ni de Belgique, ni d’Italie, ni d’Espagne? Elle peut venir d’Angleterre ou venir d’Allemagne. Occupons-nous donc de ren dre impossible le conflit avec l’Allemagne puisque nous l’avons fait avec l Angle terre. L'effort principal de tous les socialistes de France et d’Allemagne devrait être, en matière de politique étrangère, de soulever dans leur pays un mouvement d’opinion en faveur d'une entente franco-allemande. Les gouvernants ne peuvent préparer des crises que grâce à cette perpétuelle ten sion des rapports entre les deux pays. C’est comme le diabète. Quand vous avez le diabète, la moindre éraflure peut deve nir un danger mortel. Pourquoi la masse populaire en France s’énerve-t-elle si vite quand les journaux parlent de guerre? Parce qu’on entretient le peuple français dans cette idée que les Allemands guettent l’occasion de tomber sur nous. De même, on persuade aux Allemands que la majorité des Français est animée d’instincts belliqueux et revanchards et brûle du désir d’envahir l Allemagne. Le chancelier de Bülow a pu dire en plein Reichstag, sans risquer d’être démenti, qu’il n’y avait pas au Parlement français un seul député qui osât préconiser l’en tente avec l’Allemagne. H faut que ce soit un mensonge. Le jour où les Allemands sauront la vérité, le jour où nous aurons établi que les Français ne veulent pas de guerre et ne désirent que la paix et l accord avec l Al lemagne, les efforts belliqueux des gouver nants seront frappés d impuissance. Les peuples, réveillés du cauchema savamment entretenu, secouant enfin cette dangereuse hypnose où on leur fait voir des monstres, où on leur suggère que des bêtes sanguinaires les vont assaillir, les peuples se regarderont en riant de leur folie. jamais la minute n'a été meilleure. C’est à nous d’en profiter. A peine évadés de ce conflit absurde, les citoyens de France et d’Allemagne gardent rancune a leurs gouvernants de les avoir si bêtement exposés. Mais ils oublieront vite si nous leur permettons d’oublier. Que tous les...