Extrait du journal

Nous avons, pour la mémoire des hommes illustres, une piété qui, si elle néglige la plu part du temps l’esprit de leurs enseignements, s’attache d’une façon tracassière à leurs dé pouilles. Déplacer des cercueils, faire voyager des urnes, voilà comment se manifeste, à l’ordinaire, notre respect maladroit. Il semblait, toutefois, que le Panthéon dût marquer pour nos grands morts la dernière étape de leur marche funèbre. 11 n’en est rien. On discute actuellement l’opportunité d’y transférer de la Crypte à la Coupole les cen dres de Victor Hugo. Un tel raffinement posthume devrait lui être réservé pour avoir fait lyriquement confiance, durant sa vie, à « cette couronne de colonnes... » Il écrivit aussi, il est vrai, Odes et Ballades. En tout cas, celle que propose à ses ossements un exécuteur testamentaire trop zélé alerte deux ministères. Les administrations compétentes y voient une novation susceptible de créer un précédent périlleux. Elle susciterait certaine ment, dans la Crypte, de mortelles jalousies, et l’on serait sans doute obligé, pour les apai ser, d’admettre tous les grands hommes dé funts au bénéfice de la Coupole. Ainsi, de l’Institut au Panthéon, entre l’immortalité des vivants et celle des morts, il n’y aurait guère que l’épaisseur plus ou moins définitive d’un sommeil. Cela ne manquera pas d’arriver un jour si l’on ne se décide pas à dépouiller la Renom mée de ses voiles de veuve et si, à la faveur de quelque nouveau printemps, on ne l’en traîne pas, sans tambour ni trompette, loin des cimetières. Quand on l’aura, une fois pour toutes, arrachée aux fossoyeurs qui l’entre tiennent dans la superstition du cadavre, la gloire cessera d’être alors un enterrement qui se prolonge et le souvenir n’aura plus rien de commun avec l’art d’accommoder les restes. Charles BRUN....