Extrait du journal

DANS la vieille maison où je suis venu goûter un peu de repos, il y a une vieille bibliothèque où sont de très vieux livres. Je les feuillette d'un doigt distrait. Contes, chroniques, mémoires, almanachs, tout, indifféremment, me sert de pâture. J'aime beaucoup ceux de ces volumes qui datent du dix-huitième siècle. L'impression en est jolie, le papier de fil souple, résistant, agréable au toucher. Et puis, les Français de cette époque avaient une grâce particulière, une vivacité de tour, une extrême franchise jointe à la plus rare politesse ; un mélange de sérieux et de badin qui exclut la frivolité et la pédanterie. Ils se reflètent dans leurs ouvrages. Ne menaient-ils pas de front l'amour, la guerre, le plaisir, le devoir, les affaires de l'Etat et l'assouvissement de leurs passions ou de leurs caprices? Mais c'est une erreur de croire que cette société soit si différente de la nôtre. Certaines formes sont abolies, le fond subsiste. A travers le changement des moeurs, modifiées par les conquêtes scientifiques et industrielles ; à travers l'évolution des idées, l'homme moral reste, sur bien des points, identique à lui-même, subordonné aux mêmes calculs, gouverné par les mêmes intérêts. Ce matin, j'ai emporté sous les arbres du jardin, afin de m'en nourrir avant déjeuner, les journaux fraîchement arrivés de Paris et un ancien opuscule sorti des presses d'un libraire d'Amsterdam. (C'est l'odyssée d'un philosophe indien qui parcourt le monde et la relation véridique des aventures qui lui adviennent.) L'opuscule datait de cent cinquante ans; les journaux....