Extrait du journal

La Dernière Aventure de Tolstoï L'AUTRE matin, en ouvrant le journal, nous avons appris cette stupéfiante nouvelle : Léon Tolstoï, accompagné de son ami, le docteur Marcowetzki, a disparu; il s'est éloigné pour jamais d'Iasnaïa-Poliana, laissant une lettre d'adieu à la comtesse, sa femme. Celle-ci, bouleversée, a tenté de se suicider; on a eu beaucoup de: peine à l'arracher à la mort. Informations prises, les choses ne se seraient pas exactement passées ainsi... Tolstoï ne mènerait pas, comme on l'a dit, une existence errante parmi les chemineaux sans asile, mais il aurait rejoint sa soeur, Maria dans le village d'Opin, aux portes du couvent de Chalabinsk, où elle est religieuse. Un fait subsiste : l'exode du grand écrivain, son dégoût du monde, sa soif de solitude. Comment est-il arrivé à cet étrange état d'esprit? C'est ce que l'on peut concevoir assez aisément, si l'on embrasse, d'un coup d'oeil d'ensemble, l'histoire et l'évolution de son être intime. Elle comporte trois phases distinctes. D'abord, Tolstoï est jeune, ardent, batailleur, boute-en-train, passionné, tel que le dépeint sa belle-soeur dans la curieuse page que nous reproduisons plus loin ; en même temps qu'il agit, il s'observe soimême, il prend déjà l'habitude de s'analyser, et il s'analyse sans complaisance; il s'interroge sévèrement pour peser la valeur morale de ses actes; il y démêle presque toujours quelque bassesse et apporte à s'en confesser un zèle scrupuleux et inquiet. Un jour, il se laisse attendrir par un mendiant et lui jette une aumône. C'est là un mouvement louable. Mais, attendez :...