Extrait du journal

X... (Vosges). . C’est « le prix, » de la vie que je veux dire. Depuis quatre ans, je fais part de mon expérience, vers le mois d’août, aux lecteurs ou plutôt aux lec trices de 1 ’Intran. C’est un sujet qui •eût paru fastidieux en 1913 ; en 1925, il répond aux soucis de tous ceux — et c’est presque tout le monde -— pour qui les lendemains sont une énigme mena çante. : ■ ’ ■ ’ f Donc, allons-y ! Mauvaises nouvelles, mes sœurs. Ce coin de là France, où renchérissement retardait sur l’enchérissement de Pa ris, accélère, son allure. « La légume » est plus chère que chez le grand épicier du coin où nous nous approvisionnons d’habitude, et elle n’est pas aussi bonne. Les fruits, à qualité égale, sont plus chers aussi et ils1 sont ou trop mûrs ou trop verts. Des poires navets ou des poires blettes ; des abricots affaissés ou coriaces. Je me hâte de, dire que ce , n’est pas la faute des marchands : le terrain ne produit guère de fruits ; il faut les faire venir de loin, à grands frais ; au moindre retard, ite arrivent pourris : le déchet est considérable et ne peut, être compensé que par une augmentation des, prix. & £ Il faut prendre la viande comme elle vient. Pas de glacières. Le bœuf ou la vache abattus doivent faire leur se maine et sont promenés pendant des heures, chaque jour, dans une manière cfè boutique ambulante. Pas mauvaise, cette viande, mais, si l’on tient compte du déchet, elle revient plus cher qu’à Paris. Le boucher n’y peut rien : on ne lui -cède les bêtes qu’à des prix salés et poivrés. < , 1 Le beurre nous coûte ici cé qu’il nous coûtait rue de Rennes : il est bon. Mais il faut le faire venir par colis et le colis, sans compter le "pourboire, augmente fatalement les frais. ■ -J’-ai- payé Je Lois de,-chauffage,■qui' egt aussi le bois de cuisine, près de quatre fois autant qu’en 1921. Et dix fois plus cher que je ne le payais, il y a une vingtaine d’années à Pont-surYonne. Le seul façonnage de deux stè res coûte maintenant autant que jadis cinq stères- tout façonnés. ‘Les œufs et le lait, pris à la ferme, sont aux cours où ils étaient à Paris lors de notre départ. En général, le producteur nous les cède au même taux que le marchand des villes voi sines. 11^ n’y entend pas malice : c’est lè cours. Et il trouve tout naturel de les donner à meilleur compte au ramasseur. Dans son âme simple, il pense que nous devons « raisonnablement » me ner une vie aussi chère à la campagne qu’à la ville. Inutile d’essayer de lui faire concevoir que nous avons les frais de voyage et la location d’une petite villa (celle-ci, heureusement, n’a point enchéri). ! -• -, -'S' -S< La conclusion n est pas réjouissante. Les derniers petits trous pas chers disparaissent un à un. Le village, le hameau, la ferme sont au courant des hausses (j’ignore s’ils seraient aussi calés sur les baisses) et entendent sui vre le mouvement. Il y a même des endroits, jadis pleins de modestie, où l’on étrille le voyageur avec une sorte d’innocence féroce" : on dirait que c’est un devoir ! j Que si un citoyen se permet, de ser vir à bon marché le vivre, le couvert, les denrées, il. est mis à l’index jusqu’à en être boycotté, injurié, molesté... On n’en est pas là dans le coin sim plet où nous séjournons, et le plus souvent renchérissement est dû moins à la volonté du marchand qu’aux dif ficultés économiques... 'Ne nous plaignons donc point : nous sommes parmi les favorisés, à l’abri des coups de fusil ; nous subissons seulement la loi commune, que le citoyen français subira tant que les suites néfastes du Grand Désastre se feront sentir sur la plus douce et la plus belle terre du monde, ou tant que nous n’irons pas « où va la feuille de rose et la feuille de laurier ». J.-H. ROSNY Aîné, de l’Académie Concourt....