Extrait du journal

Il y a là pour cause une mentalité que tout le monde s’est appliqué à créer. Les feuilles publiques ne cessent de vanter les exploits sportifs, les luttes de vitesse, la dispute de records sur des machines à allure de projec tile, ou l’homme qui les pilote apparaît et disparait plus prompt que le regard. Les illustres étalent les photographies des coureurs. On harangue les vainqueurs ; on charge de couronnes leurs bras ; leurs noms sonnent de bouche en bouche ; ils passent escortés comme des héros. Tous les jeunes gens se passionnent pour eux ; des milliers aspirent à les imiter, à les éga ler, gnses autant par le risque affronté que par le triomphe espéré. Mais les choses ont un retour inattendu. Au lieu de plier l’instrument à ses besoins, l'homme se laisse plier aux exigences de l’instrument ; au lieu d'en user, il le sert. Servage qui devient bientôt un esclavage, j'entends celui des entraînements et des folies qu’il suscite. Pas de jours ou l’on ne signale des collisions, des chutes, des embardées mortelles d’automobiles, ou d’écra sements de piétons qui leur sont dus. A certaines fêtes de l’année, comme si une attirance d’abîme se faisait sentir, on assiste sur les routes à des « dépassements » où l’air est si violemment heurté qu'il rugit entre les voitures... Où sont les promenades d’antan, lorsque, au trot cadencé de l'attelage, on avait le loisir de respirer et de contempler. L’œil se posait, enveloppait les etres : la fleur épanouie dans l'herbe, l’arbre balancé, à la brise, l’animal errant à sa pâture, l'homme qui semait et moissonnait son pain. Les paysa ges, la profonde nature s'ouvraient lentement devant vous, avaient l’air de venir a votre rencontre ; on ne s’y enfonçait pas comme en des horizons de vertige. Et les haies au passage avaient le temps de vous souffler à la lace le parfum de leurs chèvrefeuilles, l'eau sa fraîcheur, et le vent que l'on ne devançait pas. de vous les apporter. On s’impcégnait un moment de la sérénité des choses. Mais tandis que j'écris ceci j'entends dans le soir qui tombe quelque dévoreuse de chemin jeter son cri d'avertissement rauque, et trouer l’espace... Joseph de PESQUIDOUX....