Extrait du journal
Sur une terrasse élevée d'où l’on découvrait Aix-les-Bains et le lac du Bourget, une compagnie d’oisifs au repos devisait. Les toits rouges des 1 maisons dispersées riaient dans la vallée. Comme on contemplait le lac, naturellement on parla d’Elvire, l’Elvire de Lamartine, à qui ce lac doit sa gloire. Une jeune femme qui ne se ren dait pas un compte très net de la différence qui subsiste entre les mœurs ' 1fs moyens de transport et le vocabulaire des temps de la Restauration et de 1935, résuma ces propos : En somme, dit-elle, Elvire avait un mari physicien et membre de 1 Académie des Sciences, nommé Charles. Elle aimait un poète nommé Alphonse de Lamartine. Pour voyager dans les Alpes, elle emmena son poète et laissa à la maison son savant de mari. Cette femme comprenait 1 la vie. — Je n'en suis pas sûr, dit un quinquagénaire. On crut à la protestation de quelque moraliste et on allait réclamer au nom de l’art. Mais l'interrupteur s'en défendit vivement. — Je veux dire, repriWL que si quelque descendante moderne d'Elvire, tenant sous ses lois un poète et un savant, me demandait lequel elle doit emmener avec elle en voyage et spécialement dans les Alpes, j'hésiterais sans doute, mais je crois qu'après -réflexion, je lui conseillerais le savant. Que recherche dans les spectacles de la nature une femme d'esprit orné et qui veut en ce monde jouir de toutes choses ? Que sa sensibilité soit touchée et son imagination emportée. Mais, dans un pays comme celui-ci, quel élan de l'imagination vaut celui de la géologie ? r( Un jour, la Muse immortelle s'est posée au bord de ce lac, si sombre L c’en bas. si limpide à qui le regarde de haut. Et toujours nous répéterons ces strophes où repose dans une pureté magnifique un sentiment éternel. Mais enfin, les Muses étaient déjà neuf dans la Grèce et je ne suis pas sûr que les modernes n’en aient pas ajouté quelques-unes. Suivez le vol de la Muse géologique. Elle vous emportera dans la poésie des âges, ef frayante à la fois et sereine. Ce lac que nous voyons, un glacier le creusa, il y a des milliers d'an nées. Turquoise sertie de si près dans ces montagnes sombres, il est l’une des pierres de ce collier des lacs italiens, bavarois, suisses, français, parure des Alpes refusée à d'autres chaînes orgueilleuses comme le Caucasa ou l’Himalaya. La nature eut toujours souci de rajeunir les Alpes. A un âge quo nous appelons récent, mais que nous ne pouvons pas mesurer, le tertiaire, il sem ble qu’elle ait voulu les faire passer par un Institut de beauté que l'on peut sans doute appeler formidable, en dépit de l’usage qui a fait de ce terme une'sorte de diminutif. Alors, des géants inconnus saisirent d'énormes mas ses rocheuses, les traînèrent sur des centaines de kilomètres et les laissè rent en place, confondues, comme des enfants leurs jouets. Ou bien ils encapuchonnèrent des cimes sous des masses plus jeunes qu’elles, formées au paravant dans le secret des mers, que l’on croyait insondable et que nos savants ont pénétré. C'est la grande opération que les géologues appellent le « charriage ». A une autre époque, ces monts immobiles et toujours secoués ont ré pandu bien loin autour d’eux les glaciers qui ont formé ces pays tels que nous les voyons aujourd'hui. Alors Lyon, Munich et Milan, s'ils avaient existé, auraient eu un pied pris dans un glacier, comme aujourd'hui Courmayeur ou Chamonix. Ces glaciers, allant et venant, coupant, ici, creusant là, vainqueurs par le gel des roches les plus dures, ont modelé pour nous ce pays. Us sont les créateurs de notre « pittoresque », les premiers et grands bienfaiteurs de notre tourisme alpestre. Cambrioleurs infatigables, il n’est pas de verrou qu’ils n'aient fracturé. De chapelets de lacs, ils ont fait des rivières, for çant les cluses. Il n'est guère de champ savoyard où vous ne verrez sortir du pâturage quelqu'une de ces énormes pierres que les glaciers ont arron die, caressée et polie et qui nous fait penser à l’épaule de quelque déesse monstrueuse, enfoncée dans la préhistoire. Et voyez nos deux petits lacs français, celui-ci et celui d’Annecy ; des milliers de touristes viennent tous les ans respirer sur leurs bords le cal me et le secret. C'est qu'en effet, ils sont abandonnés, délaissés par les rivières, rejetés hors des grands chemins qui marchent. Les fleuves au raient pu les traverser ; ils ont préféré un autre chemin. Voyez là-bas ce Rhône qui ne fait jamais rien comme tout le monde, il dédaigne le che min du lac et se contente de lui jeter de temps en temps les pierres qu’il arrache aux montagnes. Parfois, d'ailleurs, le lac les lui renvoie, com me un homme parvenu à la sérénité rejette les injures d’un jeune présomp tueux. encore esclave de sa colère. Excusez, je vous prie, ces pauvres mélanges de géologie ou de géogra phie où je m’efforce, avec une humilité bien véritable, de suivre des savants, que je ne suis pas bien sûr, hélas ! d’avoir compris. Mais si vous aviez ici un géologue, un vrai, ne goûteriez-vous pas la vaste poésie millénaire qu'il répandrait autour de nous ? Et ne souhaiteriez-vous pas, presque à l'égal d’un poète, un tel compagnon de voyage ? La conversation s'arrêta quelques instants. Mais une jeune femme d’un charme modeste et qu'entourait une forte réputation de fidélité et de mo nogamie demanda timidement : — Mais ne pourrait-on emmener un seul homme, un compagnon de voyage qui serait à la fois poète et savant ? Le chœur, tout d'une voix, répondit : — Cela ne se rencontre presque jamais. Etienne FOURNOL....
À propos
Fondé en 1845, le Mémorial judiciaire de la Loire est, comme son nom l’indique, un journal judiciaire. D’abord hebdomadaire puis quotidien, il est rebaptisé L’Avenir républicain en 1848, puis L’Industrie en 1852, puis le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire en 1854, nom qu’il raccourcit quelques quatre-vingt-ans plus tard en Le Mémorial. Collaborationniste, le journal est interdit en 1944.
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