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Paris, 29 mai 1896

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Paris
29 mai 1896


Extrait du journal

LA REFORME FISCALE Je viens de voir les électeurs d’un bon nombre de communes rurales : celles qui m’ont envoyé à la Chambre. La plupart, il est inutile de le dire, sont des parti sans passionnés du projet Doumer. Dans ce pays, radical depuis vingt-cinq ans, l’impôt du revenu est un des articles essentiels du programme traditionnel. Mais ce qui est curieux, c’est d’examiner l’état d’esprit des habitants (car je puis dire qu'il n’y a pas d’adversaires). Ils se disent : « Où est la vérité ?... On nous dit d’un côté que le projet nous ruinerait ; on nous dit d’autre part qu’il nous dégrè verait. Voilà deux atfirmations contraires: où est la vraie ? » Les adversaires de la démocratie sont arrivés à créer cet état d’esprit chez tous ceux auprès desquels ils ont une influence quelconque. Et je les en plains. Mieux vaudrait pour eux n’avoir jamais été crus. Ils sont arrivés ainsi à créer dans les campagnes—-je précise : dans la partie des campagnes qui nous est opposée, — une curiosité passionnée sur cette réforme qui leur parait, devant leur robuste bon sens, essentiellement profitable aux agricul teurs,mais sur laquelle les affirmations au dacieuses des hommes investis de leur confiance sont arrivées à les faire douter. Et voilà précisément ce qui rend pour nos adversaires l’avenir le plus redoutable.C’est que surtout,si j’en crois ce que j’ai vu ou ce qu’on m’a dit, l’attention des campagnes est éveillée sur ce grave sujet. C’est toujours provoquer un mouvement gros de lourdes conséquences, que de parler aux paysans des impôts qu’ils payent. Ils connaissent le prix d’un sou. Et ils ont raison. Leur âpre esprit d’épargne est une des forces de la France. On- veut changer leurs contributions; c’est assez pour ' agiter tous les esprits dans les villages. Et ce sentiment de curiosité ne s’arrê tera que le jour où on saura à quoi s’en tenir. Or, ce n’est pas bien difficile: ils le savent déjà en majeure partie; ils le sau ront tous bientôt. Et alors, quel mouve ment de colère se prépare contre ceux qui auront fait avorter le dégrèvement des campagnes — on le verra sans doute un jour où l’autre. Colère prudente et discrète. La discré tion, la prudence sont parmi les carac tères du paysan. Il a gardé des oppres sions anciennes une profonde habitude de méfiance. Il n’aime pas laisser paraître son avis. Comme le Normand proverbial, il juge .plus sage de ne dire ni oui, ni non. Mais en même temps qu’il est méfiant il se sent libre. Quand l’heure est venue, il tait savoir ce qu'il pense. Et, je le demande à tout homme de bonne foi, peut-il exister l’ombre d’un doute sur le projet Doumer? — Evidem ment non. Il fautjbien que la vérité finisse par l’emporter. Tant pis pour ceux qu’elle confond ! Qu’elle arrive un peu j lus tôt, un peu plus tard, une fois l’attention des cultivateurs éveillée, il faudra bien qu'elle arrive, à la fin ; on doit le prévoir, et ce sera le jour à redouter pour qui a voulu tromper les campagnes. Et un problème se pose, pour ceux qui ont pris le pouvoir par des mv/ens bons ou mauvais : Que mettre à la place du projet Doumer ? Il faut trouver quelque chose qui con stitue aussi un dégrèvement. On conçoit pourquoi. Le dégrèvement est attendu par tous les paysans du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Il faut trouver quelque chose qui constitue un dégrèvement égal à celui que Doumer réalisait. On conçoit pour quoi. Les chiffres seront aussitôt établis et comparés. Comment s'y prendre ? Cela n’est pas aisé; et je comprends que jus qu'ici, nous attendions encore le projet du ministère. En effet, avec quoi dégrever la masse des travailleurs, surtout dans les cam pagnes, si ce n’est avec ce qu’on fera payer aux riches ? Et comment le faire...

À propos

Fondé en 1881 par Charles Laurent, Paris fut d'abord un quotidien gambettiste, avant de devenir tout simplement opportuniste. En 1888, le journal attaque avec violence le Crédit Foncier, lequel le rachète immédiatement dans le seul but de le faire taire. À la suite de quoi le directeur du journal démissionne, pour fonder Le Jour. Le nouveau directeur Raoul Cavinet, d'une moralité douteuse, sera impliqué dans les années qui suivent dans plusieurs affaires de chantage et de fraude. Il abandonnera son poste, et le titre avec lui, en 1895.

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