Écho de presse

1823 : Une affaire d’empoisonnement à la morphine passionne les foules

le 25/05/2018 par Marina Bellot
le 23/04/2018 par Marina Bellot - modifié le 25/05/2018
Les protagonistes de l'affaire, gravure d'époque - source : Musée des Avelines de Saint Cloud / Wikicommons
En 1823, une affaire d’empoisonnement à la morphine – la première recensée dans les annales judiciaires françaises –  fait grand bruit. L’accusé, un jeune médecin, est condamné à mort au terme d’un procès-spectacle. 

En 1823, l'auberge de la Tête Noire, à Saint-Cloud, est le théâtre d’un crime qui restera dans les annales. 

Dans ce lieu prisé des Parisiens en goguette, par une belle nuit de mai, Auguste Ballet, un jeune homme héritier d’une belle fortune familiale, agonise pendant plusieurs heures avant de mourir au matin dans d’atroces souffrances. À son chevet, son ami Edme-Samuel Castaing, un jeune médecin aussi brillant que désargenté.

Sept mois plus tôt, c’est le frère d’Auguste qui mourait tout aussi subitement, avec Castaing, là encore, seul à son chevet. 

L'enquête met en lumière des éléments accablants pour Castaing, dévoilés lors d'un procès-spectacle qui passionne les foules en novembre 1823. 

Le Journal des débats rapporte :

« Dès dix heures et demie du matin, les portes de la salle d'audience étoient assiégées ; et en très peu de temps, tous les porteurs de billets pour les différentes places réservées ont rempli l'espace qui leur étoit assigné. »

Alexandre Dumas, qui y consacrera plusieurs pages de ses Mémoires, écrira : 

« L'accusé fut introduit. Alors, un indicible mouvement d'intérêt agita ces spectateurs, que la curiosité courba et fit onduler comme les épis sous le vent.

C'était un beau jeune homme soigné de sa personne et d'une figure douce, quoique l'on crût voir quelque chose d'étrange dans l'expression de son regard. » 

L’acte d’accusation est lu dans un silence total pendant pas moins de trois heures et demie. 91 témoins doivent être appelés à la barre.  

On apprend que le jeune médecin était passionné par les poisons. 

Qu'il s'était procuré par deux fois, avant la mort de chacun des deux frères, de la morphine. 

Que la mort d'Hippolyte était, déjà, étrange : il voulait déshériter son frère, mais Castaing aurait escamoté le testament pour permettre à Auguste de toucher la succession. Ce dernier, reconnaissant, avait fait du jeune médecin son légataire universel, décision validée chez le notaire le matin même du voyage soudain à Saint-Cloud.

Ainsi, le testament d’Auguste dispose : 

« Quoique dans un parfait état de santé, je peux mourir d'un instant à l'autre, ou par maladie, ou par accident imprévu.

En conséquence, de mon plein gré et mouvement, j'institue pour mon seul et unique héritier et légataire universel, M. Edme-Samuel Castaing, docteur en médecine. »

Certes, les autopsies, encore balbutiantes à l’époque, ne sont pas entièrement concluantes. On apprend ainsi que :

« Les hommes de l’art n’avaient rien trouvé sur l’extérieur du cadavre ni dans les organes de la vie qui décélât la présence d’un poison actif.

On avait constaté seulement des lésions inflammatoires de la même nature que celles qui avaient été remarquées, déjà, lors de l’autopsie d’Hippolyte. »

Mais les débats insistent surtout sur la personnalité de l'accusé, son « hypocrisie », son « immoralité » et la « cupidité inconcevable et barbare » de Castaing.

Les journaux consacrent des pages entières à la retranscription des débats, jour après jour. Il faut dire que l’intérêt du public ne faiblit pas, loin de là. 

Le 15 novembre, La Gazette de France rapporte ainsi : 

« La curiosité ne se fatigue pas : plus la fin de ce procès célèbre approche, plus on est impatient d’assister aux graves débats qu'il entraîne. 

Les dames surtout se pressent en foule dans l’enceinte de la cour, où elles regardent leur admission comme une bonne fortune. »

Le clou du spectacle arrive au moment où l’accusé, conscient que sa tête est en jeu, s’adresse à la cour. La « scène déchirante » est rapportée par Le Constitutionnel :

« Je saurai mourir, quoique ma position soit bien malheureuse, quoique des circonstances fatales me plongent dans la tombe. 

On m'accuse d'avoir lâchement assassiné mes  deux amis... Oh je suis innocent ! Oui, je suis innocent !

Mais il y a une Providence. Il y quelque chose de divin en moi : ce “quelque chose” ira vous retrouver, Auguste et Hippolyte !... Je n'implore que ce qui est divin ; je monterai avec délices sur l’échafaud.

L'idée de vous revoir m'encouragera, ô mes deux amis ! Elle réjouira mon âme au moment même où je sentirai... [Ici Castaing porte la main à son col.]

Non, je ne puis exprimer tout ce que j'éprouve. Ma conscience ne me reproche rien ; tout mon espoir est dans la divinité ; maintenant, ordonnez ma mort ! » 

Cette tirade pathétique déclenchera quelques pleurs dans l’assistance  « On entend les sanglots de plusieurs dames, qui étaient restées depuis six heures dans la salle pour assister à ce spectacle »  mais ne suffira pas à sauver la tête de Castaing.

Malgré le manque de preuves formelles et les dénégations persistantes de Castaing, il est condamné à mort. Il finira sur l'échafaud le 6 décembre 1823.