C'était à la une ! L'acte de bravoure du capitaine Surcouf
Dans la lecture du jour, Montlinot évoque l'orgueil national, et esquisse une comparaison entre France et Angleterre. Il prend l'exemple de l'acte de bravoure du capitaine Surcouf, commandant le navire L’Émilie.
En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture
Cette semaine : "Acte de bravoure extraordinaire", par Montlinot, La Clef du Cabinet des Souverains, 25 mai 1797
Lecture par : Hélène Lausseur
Réalisation : Séverine Cassar
« ACTE DE BRAVOURE EXTRAORDINAIRE
Les papiers anglais ont rendu une justice éclatante à l'intrépidité peu commune du capitaine Surcouf, de S.-Malo, commandant le navire l'Émilie. Aucun journal en France, que je sache, n'a rendu compte d'un acte de bravoure qui n'a d'exemple que dans l'histoire invraisemblable, mais très vraie, des flibustiers.
Les Anglais vaincus par Surcouf, l'ont comblé d'éloges, et nous semblons l'oublier en France. Pourquoi cette différence d'opinions entre deux peuples qui, quoi qu'en disent quelques déclamateurs, sont faits pour apprécier tous les genres de gloire ? Il faut en chercher la cause dans l'orgueil national, qui sait en Angleterre tourner au profit de l'esprit public les revers et les succès ; là, le gouvernement sait associer tout ce qui est grand, à sa grandeur maritime ; et dans les éloges mêmes qu'il accorde au vainqueur, montrant orgueilleusement sa puissance, il semble faire dire au peuple : le brave Surcouf était digne de commander un vaisseau Anglais. Nous sommes bien loin de tirer un égal parti de nos victoires : au lieu d'environner le peuple de l'éclat de ses triomphes, au lieu de diriger toutes ses vues vers un repos agricole qui seul peut assurer le bonheur des conquérants et caresser leur orgueil, nos écrivains politiques ne parlent que de factions et de factieux ; ils attristent toutes les âmes en continuant de leur faire peur des hommes à moustaches et des Barbe-bleue de la révolution.
On a représenté à Londres avec une grande vérité dans les moindres détails, le combat naval du cap St-Vincent ; le peuple s'est porté en foule à ce spectacle, il n'y a pas un habitant qui n'ait applaudi. Imaginez à Paris le grand spectacle du passage du Rhin, ou du pont de Rivoli, et calculez à l'avance quel sera le nombre de spectateurs... Pauvre peuple, tant que vous vous passionnerez pour madame Angot, l'Odéon et le Thiase, dont les derniers mots ne sont pas même connus dans notre langue, vous n'aurez pas d'esprit public, quoi qu'en disent vos éloquens [sic] instituteurs ! Si, étranger à l'Europe, je mettais pour la première fois le pied dans ces heureuses contrées, et que je voulusse connaitre l'esprit national, je demanderais d'abord quels sont les ouvrages les plus connus du peuple : j'apprendrais qu'en Angleterre on fait depuis un demi-siècle, chaque année, quatre à cinq éditions de Robinson Crusoé ; j'en concluerais sur-le-champs que cette puissance est maritime, et que l'on cherche à inspirer au peuple le goût des voyages de long cours, et à lui donner de bonne heure la trempe d'esprit nécessaire pour en supporter les fatigues et les dangers.
En arrivant en France, je saurais que depuis un siècle on imprimait, chaque année, plus de douze mille exemplaires de la bibliothèque bleue, et que le livre le plus répandu après Richard sans peur, les cantiques de Noël, et Robert le diable, étaient les fables de La Fontaine ; j'en concluerais que ce peuple frivole doit aimer les contes, qu'il est dévotement peureux, et qu'il se sert souvent de l'allégorie, n'osant dire tout simplement la vérité. C'est bien pis aujourd'hui ; si nous avons laissé dernière nous l'histoire du Petit-Poucet, il nous est resté malheureusement celle de l'Ogre, dont pendant long-tems [sic] on racontera les horribles exploits. [...]
Montlinot. »