Un débat sous la Révolution : faut-il autoriser le divorce ?
A partir de 1789, en France, de nombreuses voix s’élèvent dans l’espace public en faveur du droit à la dissolution du mariage. Un processus qui aboutira à la première légalisation du divorce le 20 septembre 1792.
Faut-il autoriser le divorce ? Sous l’Ancien Régime, la question est rarement posée. Le mariage est alors un sacrement religieux. Le dogme en vigueur est celui de son indissolubilité, imposé par l’Église au XVIe siècle : les couples mariés doivent le rester, la loi ne prévoyant aucune possibilité de mettre fin à leur union. Et tant pis si dans les faits, nombreux sont les couples mariés qui vivent séparément.
Au XVIIIe siècle, quelques philosophes vont pourtant s’intéresser à la question. L’Écossais David Hume écrit par exemple un Essai sur la polygamie et le divorce qui est traduit en français et publié en 1757 dans Le Mercure de France. Hume commence par y exposer les arguments en faveur du divorce, et se livre à l’examen de ce qui sera la notion-clé des débats à venir sur le sujet : « l’incompatibilité d’humeur » comme motif de divorce.
« Le dégoût et l’aversion naissent souvent après le mariage de mille circonstances communes et de l’incompatibilité d’humeur [...].
Qu’il soit permis de séparer les cœurs qui ne sont pas faits l’un pour l’autre ; chacun d’eux en trouvera peut-être un autre qui lui conviendra mieux, du moins rien ne paraît plus cruel que de vouloir maintenir par force une union, formée d’abord par un amour mutuel, et rompue ensuite réellement par une haine réciproque. »
Le philosophe, dans un second temps, semble malgré tout se prononcer contre la possibilité de dissoudre le mariage, estimant que « l’amitié [...], sentiment calme et réfléchi, guidé par la raison, et cimenté par l’habitude [...], se fortifie plutôt par la contrainte ».
D’autres penseurs décisifs de l’époque, comme Montesquieu, Voltaire ou Diderot, se prononcent au contraire pour le droit au divorce. Mais c’est seulement avec l’effervescence de la Révolution française que la question arrive au premier plan : de nombreux titres et brochures de la presse révolutionnaire, à Paris notamment, s’emparent du sujet et en débattent, parfois avec virulence.
En décembre 1789, le journal La Gazette de Paris (alors favorable à la Révolution, mais qui lui deviendra hostile peu de temps après) publie ainsi un plaidoyer sans ambiguïté en faveur du droit au divorce. Mieux vaut une séparation légale, juge l’auteur, que le maintien artificiel d’un couple désuni, une situation propice à l’éclosion des violences conjugales et dommageable aux enfants.
« La religion et les mœurs ont un égal intérêt à la promulgation du divorce.
La division entre deux époux mettra toujours beaucoup d’immoralité dans leurs actions diverses. Quels exemples recevront leurs enfants ! quelle éducation ! Ainsi la gangrène qui ronge le cœur du père et de la mère, vicie également celui des enfants. »
Dans un très long texte paru dans Le Mercure de France, en février 1790, on trouve à l’inverse ces arguments :
« L’incompatibilité de caractère est la cause qui sollicite le plus fréquemment le divorce, et sur laquelle l’auteur de cet ouvrage insiste le plus fortement. Mais cette incompatibilité, comment, par qui, et devant qui sera-t-elle prouvée ? Y a-t-il rien de plus vague et de plus équivoque ? [...]
Quoi ! Une femme ennuyée de ses premiers liens, n’aura, pour être libre d’en former de nouveaux, qu’à supposer entre elle et son époux une antipathie invincible ! Un homme, après avoir joui de tous les charmes de la beauté, dans une jeune et chaste épouse, n’aura pour la quitter, quand il l’aura flétrie, qu’à se rendre odieux pour elle [...] ! »
La tendance générale, parmi les révolutionnaires, va cependant dans le sens du divorce. Le duc d’Orléans, franc-maçon et grand opposant de Louis XVI, publie en 1789 un Traité philosophique, théologique et politique de la loi du divorce. La féministe Olympe de Gouges, de son côté, demande son instauration dans une pièce de théâtre en 1790, puis à nouveau dans les commentaires de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Parmi les plus virulents, le journal pamphlétaire Je suis le véritable Père Duchesne, foutre exprime en 1790 son « indignation » contre « l’indissolubricité [sic] du mariage, et sa motion pour le divorce » :
« Comment, foutre, encore une femme assassinée par son mari ! Cette mode-là prend bougrement [...]. Si on brûlait tous les époux et les épouses qui s’empoisonnent, sans compter tous ceux qu’on ne connaît pas, le bois coûterait cent francs la voie ; et il est déjà assez cher, foutre !
V’là ce que c’est que notre foutu mariage. V’là ce qu’il sera toujours, tant qu’il sera sous la puissance de ces poisons de calotins. Ces bougres-là nous tiennent sous leurs sacrées griffes, par leur indissolubricité [...]. Il ne savent que retenir par des chaînes ; c’était bon quand nous étions de foutus esclaves.
Mais nous voilà libres : ce n’est pas l’argent, foutre, qui doit faire les mariages, ce n’est plus l’autorité des pères, c’est l’inclination et le goût. »
L’inclination et le goût : on le voit, la revendication du droit au divorce est concomitante de l’éclosion (récente) de la notion de mariage d’amour. La recherche du bonheur à deux doit désormais primer sur le respect des normes traditionnelles.
Certains débatteurs veulent pourtant apporter des nuances : le divorce, oui, mais au nom de quels motifs ? Sous quelles conditions ? Pour Le Courrier de l’Hymen, éphémère « journal des dames » paru en 1791, la séparation légale ne devrait avoir lieu que pour des raisons suffisamment graves :
« La stérilité , les maladies physiques, ne peuvent être des causes de divorce , parce qu’elles sont des accidents qui entrent dans le lot du mariage. Malheur à celui auquel ils échoient ; ils s’est exposé à ces tristes chances.
La femme stérile ne doit pas être rendue à la société, encore moins celle qui a contracté des maladies, parce qu’il est plus juste qu’elle elle demeure à la charge de l’homme qui a obtenu ses prémices , que de la faire retomber sur la société , qui n’aurait que le fardeau de son inutilité. »
La loi tant attendue sera finalement promulguée par l’Assemblée nationale le 20 septembre 1792. Celle-ci laïcise le mariage et statue que « la faculté de divorcer résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte ». La Gazette nationale en publie le contenu en octobre :
« Art 1er. Le mariage se dissout par le divorce.
II. Le divorce a lieu par le consentement mutuel des époux.
III. L’un des époux peut faire prononcer le divorce sur la simple allégation d’incompatibilité d’humeur ou de caractère [...]. »
Trois grands types de dissolution de mariage sont donc prévus par la loi. Le divorce par consentement mutuel, qui peut être obtenu en deux mois après réunion d’une assemblée de famille. Le divorce pour incompatibilité d’humeur ou de caractère, qui peut être obtenu en sept mois. Et le divorce pour motif déterminé, qui inclut sept raisons possibles : la démence d’un des conjoints, les crimes ou injures graves de l’un envers l’autre, l’abandon de l’époux ou de l’épouse pendant deux ans au moins, le dérèglement de mœurs notoire...
Comme le note l’historienne Dominique Dessertine, la loi de 1792 instaure de fait l’égalité entre hommes et femmes, puisque chacun des deux conjoints peut prendre l’initiative de la demande de divorce. Mais aussi l’égalité entre riches et pauvres : les demandeurs ne sont pas obligés de recourir à des hommes de loi, ce qui supprime presque toute dépense.
Effet immédiat de la loi : des milliers de couples demandent le divorce dans toute la France, mais surtout dans les grands centres urbains (Paris arrive largement en tête) et au sein de la moyenne bourgeoisie : paysans, ouvriers et nobles divorcent très peu. Dans une majorité de cas (60 à 70%), ce sont les femmes qui demandent la rupture du mariage.
Une tendance nouvelle dont il faut toutefois relativiser la portée, la grande majorité des Français restant attachés au mariage chrétien, à l’instar des catholiques conservateurs qui accueillent le décret de 1792 avec horreur. Cette première législation sur le divorce restera d’ailleurs très éphémère. En 1804, le Code civil restreint fortement les possibilités de divorcer. Et en 1816, le droit au divorce sera aboli.
Il faudra attendre 1884 pour que soit promulguée une nouvelle loi autorisant le divorce aux termes de débats houleux qui, à nouveau, passionneront l’opinion publique.
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Pour en savoir plus :
Dominique Dessertine, « Le divorce sous la Révolution : audace ou nécessité ? », in : Enfance, santé et société, LARHRA, 2013
Germain Sicard, « La Révolution Française et le divorce », in : Mélanges Germain Sicard, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2000
Jean Claude Bologne, Histoire du couple, Perrin, 2016