1884 : Promulgation de la loi autorisant le divorce
En voulant abroger la loi de 1816, la IIIe République réinstaure une loi révolutionnaire et continue son combat contre les royalistes, les conservateurs et l’Église catholique.
Changer la société ?
Après une première décennie marquée par le retour à l’Ordre moral et l’éventualité d’une restauration monarchique, la IIIe République s’enracine à partir des années 1880. Les républicains opportunistes entament un combat pour imposer les symboles républicains (La Marseillaise devient hymne national le 14 février 1879, le 14 juillet est décrété fête nationale le 6 juillet 1880) et prendre des mesures symboliques (Les Chambres quittent Versailles pour regagner Paris, les Communards déportés sont amnistiés). Ils mettent aussi en application un programme de libéralisation politique avec la liberté de réunion (30 juin 1881) ou encore la liberté de la presse (29 juillet 1881).
La République s’impose principalement contre les conservateurs et l’Eglise. L’école devient un enjeu primordial [cf. notre article sur les lois scolaires de Jules Ferry de 1879 à 1882]. La lutte contre les congrégations religieuses et l’affirmation du principe de laïcité de l’école permettent de réduire l’influence de l’Eglise sur les écoles.
Des débats fortement politisés
Homme politique socialiste, Alfred Naquet dépose plusieurs propositions de loi dont une en 1876 afin d’établir le divorce pour faute, tel qu’il était autorisé par la loi de 1792. Il porte de nouveau son combat devant la chambre des députés le 26 mai 1884 dans un contexte qui lui est plus favorable.
Deux camps s’affrontement lors de débats particulièrement violents :
Les députés des droites, principalement les royalistes, sont formellement opposés à cette loi et protestent jusqu’au dernier instant. Cette mesure est perçue comme une atteinte aux bonnes mœurs, à la famille, au respect du saint foyer et renforce l’image de la République comme «régime du désordre politique et de l’immoralité».
Votée par 360 députés de la gauche et du centre-gauche (contre 129 votes contre), la loi est adoptée par le Sénat le 27 juillet 1884. Preuve de son importance, de nombreux journaux insèrent dans leur Une le résultat du scrutin ainsi que l’ensemble des articles de la loi.
La réception de la loi
La loi ne rétablit pas le divorce par consentement mutuel ou pour incompatibilité d’humeur. Il est nécessaire de prouver des excès, des sévices ou des injures graves pour que le divorce soit prononcé, ce que le journal Le Siècle déplore car cette procédure n’apporte rien à la sauvegarde de la morale publique. La preuve de la faute est donc indispensable. En matière d’adultère, l’inégalité entre hommes et femmes est abolie. On déplore malgré tout la complexité des démarches à suivre pour obtenir un divorce, tant pour un homme que pour une femme
«La procédure à suivre est longue et compliquée. Il doit d'abord présenter sa demande au président du tribunal et lui exposer les faits,a vec les preuves à l'appui, s'il en a, et c'est sur cette demande qu'interviendront successivement deux tentatives de conciliation, l'une devant le président l'autre devant le tribunal tout entier»
L’application de la loi suscite une vague d’opposition, marqué par de nombreuses démissions de magistrats. Cette loi est très libératrice pour la femme. Cependant certains journaux, comme Le Soleil, ne s’opposent pas à cette loi. Le Siècle termine son article consacré à ce vote en affirmant que «le divorce n’est pas un bien mais […] il est le remède d’un grand mal» et doit à ce titre reprendre sa place dans le Code civil.
Le sujet du divorce passionne l’opinion publique. Pour les opposants, cette loi va provoquer une inflation inquiétante de demandes de divorce déposées dans les tribunaux. Le mariage, le divorce et les adultères sont des sujets dont se saisissent les caricaturistes, notamment pour se moquer des relations conjugales, ou des opposants du divorce qui dénoncent les torts causés à la famille.
Alfred Naquet (1834-1916)
Médecin, Alfred Naquet est plusieurs fois condamné en raison de ses engagements politiques. En 1868, il est membre de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, fondée par Bakounine et où il côtoie les frères Reclus mais également Jules Guesde. Après un exil en Espagne, il revient en France en 1871 et est élu député du Vaucluse, puis sénateur en 1883. Proche du général Boulanger, il doit fuit en Angleterre en 1890. Poursuivi lors de l’affaire de Panama, il est acquitté en 1898 et abandonne la vie politique pour se consacrer à la rédaction d’ouvrages socialistes.
Bibliographie
Vincent Duclert, La République imaginée, 1870-1914, Belin, 2014.
Arnaud-Dominique Houte, La France sous la IIIe, la République à l’épreuve, 1870-1914, La documentation française, 2014.
Jean-Marie Mayeur, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome 10 : Les débuts de la troisième République, 1871-1898, Seuil, 1973.
Alfred Naquet, La loi du divorce, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1903.