La mort de Claude Monet

Rares sont les événements qui, dans la presse, mettent tout le monde d'accord. La mort de Claude Monet est de ceux-là. Lorsque, le 5 décembre 1926, le peintre s'éteint à 86 ans dans sa demeure de Giverny, tous les journaux célèbrent le génie du peintre des Nymphéas.

Le Journal du 6 décembre écrit ainsi :

"Synthétisant tout ce qui était forme et contour, sacrifiant la pureté de la ligne à l'éclat des tonalités, il fut à proprement parler un magicien de la clarté."

Le Petit Parisien du même jour ajoute :

"Les modes passent, la peinture reste. Sous cet angle, l'œuvre de Claude Monet demeurera sans reproche, très grand et très pur, et la mémoire du peintre restera comme celle d'un artiste dont une époque peut s'enorgueillir."

Dans L'Action française du 8, Léon Daudet écrit quant à lui :

"Sa palette va de l'avant, comme son imagination créatrice, sans jamais regarder en arrière. Il a cherché et trouvé jusqu'au bout."

Une unanimité qu'on peut s'amuser à comparer aux commentaires qui accueillirent les débuts du peintre. Par exemple lorsque Le Petit Journal du 28 mai 1868 estimait que :

"Monet a fait depuis 1866 un progrès dans le laid. Il expose un tableau intitulé Navires sortant des jetées du Havre. La mer est en carton, les navires en je ne sais quoi, sans perspective, sans plan, sans dessin, sans couleur."

Ce printemps-là, Monet, financièrement au fond du gouffre, fit une tentative de suicide. Pas sûr que l'article du Petit Journal l'ait aidé à remonter la pente... On retrouve la même absence de clairvoyance deux ans plus tard chez le journaliste du Rappel qui, le 2 mai 1870, qualifiant Monet de "peintre lourd", prophétisait à propos des jeunes impressionnistes :

"Le public se saturera de ces petits effets, de ces museaux retroussés, de ces bibelots exotiques, et reviendra, sérieusement cette fois, aux qualités réelles de l'art : la science et le sentiment, la nature et la réflexion."