"Notre but" - Jean Jaurès 1904
Dans le premier numéro de "L'Humanité", Jean Jaurès écrit un éditorial intitulé "Notre but", à la fois programme politique et manifeste journalistique.
"C'est à la réalisation de l'humanité que travaillent tous les socialistes"
Le lundi 18 avril 1904 paraît le premier numéro d'un nouveau quotidien d'information : L'Humanité. Son fondateur et directeur Jean Jaurès souhaite en faire un outil pour l'unification du mouvement socialiste français, puis un instrument de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme. Un projet politique qu'il décrit dans son tout premier éditorial :
"Le nom même de ce journal, en son ampleur, marque exactement ce que notre parti se propose. C’est, en effet, à la réalisation de l’humanité que travaillent tous les socialistes. L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine. À l’intérieur de chaque nation, elle est compromise et comme brisée par l’antagonisme des classes, par l’inévitable lutte de l’oligarchie capitaliste et du prolétariat."
Jaurès, qui rappelle la dimension internationaliste, voire universaliste, du socialisme tel qu'il le conçoit, se livre ensuite à une déclaration de foi pacifiste :
"De nations à nations, c’est un régime barbare de défiance, de ruse, de haine, de violence qui prévaut encore. Même quand elles semblent à l’état de paix, elles portent la trace des guerres d’hier, l’inquiétude des guerres de demain : et comment donner le beau nom d’humanité à ce chaos de nations hostiles et blessées, à cet amas de lambeaux sanglants ? Le sublime effort du prolétariat international, c’est de réconcilier tous les peuples par l’universelle justice sociale. Alors vraiment, mais seulement alors, il y aura une humanité réfléchissant à son unité supérieure dans la diversité vivante des nations amies et libres."
Suffrage universel, laïcité, soutien des mouvements syndicaux et transformation sociale sans violence sont les principes posés par le fondateur du quotidien, qui, un an avant l'union de 1905, appelle à un rassemblement des "socialistes révolutionnaires" et des "socialistes réformistes". Mais ce texte, loin de se limiter à l'énonciation d'un programme politique, est aussi un véritable manifeste journalistique :
"La grande cause socialiste et prolétarienne n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue ou rabaisse injustement les adversaires, ni qu’on mutile les faits."
Jaurès conclut sur l'indépendance financière du journal, condition sine qua non, estime-t-il, pour délivrer "des informations étendues et exactes".
"Tout cela ne serait rien et toute notre tentative serait vaine ou même dangereuse si l’entière indépendance du journal n’était point assurée et s’il pouvait être livré, par des difficultés financières, à des influences occultes. L’indépendance du journal est entière. Faire vivre un grand journal sans qu’il soit à la merci d’aucun groupe d’affaires, est un problème difficile mais non pas insoluble. Tous ici, nous nous donnerons un plein effort de conscience et de travail pour mériter ce succès : que la démocratie et le prolétariat nous y aident."
Jusqu'à son assassinat en 1914, Jean Jaurès écrira d'innombrables articles dans L'Humanité.