La vie de Nicolas Machiavel
En 1929, le journal L'Européen publie des extraits d'une biographie de Machiavel qui donne à voir l'homme derrière le redoutable théoricien.
En 1929, paraît une importante biographie consacrée au théoricien politique de la Renaissance, Nicolas Machiavel. Le livre est signé Giuseppe Prezzolini, un journaliste, écrivain et éditeur italien renommé.
Loin d’une étude savante, la biographie de Prezzolini est un livre à mi-chemin entre l’essai et la biographie romancée, qui révèle un Machiavel intime et rend sa pensée accessible en l'inscrivant dans le contexte politique de l'époque. "Le récit en prend une teinte d'actualité telle que, comme chez les vieux nouvellistes italiens, on croit entendre parler un témoin direct des événements", écrit L'Européen, journal consacré aux sciences morales et économiques, qui en publie en juin 1929 quelques savoureux extraits.
Où l'on voit d'abord Machiavel plongé dans l'écriture de son célèbre ouvrage Le Prince, "œuvre née entre le marteau de la douleur et l'enclume de la nécessité". Machiavel, accusé de trahison envers les Médicis, vient alors d'être emprisonné, torturé puis assigné à résidence. Il écrit alors ce qui deviendra son chef d'œuvre :
« Sur le seuil de ce cabinet de travail, Machiavel abandonne son âme quotidienne et ses bassesses. Chaque soir il retrouve enfin son âme véritable et se reprend à vivre. [...]
Et pendant quatre heures, il oublie tout autre souci : ses dettes, les taxes à payer, l'argent des ventes de bois à toucher, le vilain songe de la torture, la cour de Rome qu'il faut implorer et ces Médicis qui font la sourde oreille. Plus rien de tout cela ne l'intéresse : la seule science de l'État règne en son esprit, en une liberté absolue d'espace et de temps, la pure science des hommes sans nécessité de tromperie ou de flatterie. [...]
L'œuvre est née entre le marteau de la douleur et l'enclume de la nécessité. Chaque page du « Prince » est due au malheur, chaque période à l'injustice, chaque maxime à la science que l'auteur acquiert sous l'emprise de la désillusion. »
C'est un Machiavel humaniste et juste que donne à voir Prezzolini, loin du personnage cynique que son nom évoque :
« Son visage devait rayonner de cette majesté quand il répondait à quelqu'un qui l'accusait d'avoir enseigné aux tyrans l'art de conquérir le pouvoir :
“Il est vrai que j'ai enseigné aux tyrans comment on conquiert le pouvoir, mais j'ai enseigné aussi aux peuples comment on renverse les tyrans.” »
Très documenté, l'auteur se livre à un passionnant portrait psychologique du personnage, décrivant quelle vie il menait, quelles femmes il aimait... et même comment il se nourrissait :
« Que Nicolas Machiavel ne perdait point de temps à manger ; mais que comme tous les hommes sages, il savait apprécier la bonté et les beautés d'une table bien apprêtée ; qu'il préférait manger une oie rôtie à Florence à se nourrir de noix, de figues, de fèves, de viande, sèche, comme il le faisait souvent dans sa villa. [...]
Nicolas se montrait aussi philosophe à l'égard de sa carrière politique qu'à l'égard de sa table ; et tout en mangeant son pain rassis, il pensait au pain frais qu'il mangerait, certainement un jour ou l'autre.
Je le vois dans sa cuisine ou même dans celle de certains de ses hôtes, la poêle en main, en train de surveiller le coloris d'une friture d'artichauts, de poulet et de cervelle mêlés. Au cours de ses voyages, il a dû plus d'une fois noter sur ses tablettes quelques recettes alléchantes dans l'intention de les rapporter à ses femmes. [...]
Le style de Machiavel tient de l'olive : il est nerveux, sec, sans ombre, comme ce fruit concentré et juteux.
Il ne voulut jamais abandonner ses olives et ses fruits, malgré toutes les occasions qui se présentèrent, et malgré la torture et l'exil. On nous assure qu'il répondit à quelqu'un qui l'invitait à faire le “fuôriscito” en France :
“Je préfère mourir du couteau à Florence, que d'indigestion à Fontainebleau.” »