La sainte et le meurtrier (2/2)
En juillet 1887, le procès du "meurtrier de l'avenue Montaigne" conduit à sa condamnation à mort. L'affaire a bouleversé Thérèse de Lisieux, qui espère obtenir la conversion de Pranzini.
Le procès d'Henri Pranzini, jugé pour le triple meurtre de l’avenue Montaigne [voir notre article], s'ouvre le 9 juillet 1887 devant la Cour d'assises de la Seine.
Le 13 juillet, après deux heures de délibéré, il est reconnu coupable et condamné à la peine capitale. Aucun de ses recours en grâce n'est accepté : Pranzini est guillotiné le 31 août 1887.
Une jeune religieuse, la future sainte Thérèse de Lisieux, a suivi l’affaire et, bouleversée, s’est lancée un défi : obtenir par la prière la conversion de Pranzini avant son exécution.
Dans son manuscrit autobiographique, elle écrit :
"J'entendis parler d'un grand criminel qui venait d'être condamné à mort pour des crimes horribles, tout portait à croire qu'il mourrait dans l'impénitence. Je voulus à tout prix l'empêcher de tomber en enfer, afin d'y parvenir j'employai tous les moyens imaginables. […]
Le lendemain de son exécution je trouve sous ma main le journal : « La Croix ». Je l'ouvre avec empressement et que vois-je ?… Ah ! mes larmes trahirent mon émotion et je fus obligée de me cacher… Pranzini ne s'était pas confessé, il était monté sur l'échafaud et s'apprêtait à passer sa tête dans le lugubre trou, quand tout à coup, saisi d'une inspiration subite, il se retourne, saisit un Crucifix que lui présentait le prêtre et baise par trois fois ses plaies sacrées !…"
L’article de La Croix qu’évoque Thérèse de Lisieux est en effet un compte-rendu minutieux des instants précédant l’exécution, puis de l'exécution elle-même, implacable et glaçante [Voir l'archive] :
"Le sinistre gredin qui a assassiné les trois victimes de la rue Montaigne a été exécuté ce matin et avec lui finit l’ignoble scandale de ces jours derniers. La foule a envahi de très bonne heure la place de la Roquette et les rues avoisinantes. À onze heures et demie, viennent prendre place sur la place des détachements de la garde républicaine à cheval, à pied et la gendarmerie de la Seine. Quelques cris : Vive Boulanger se font entendre dans la rue de la Roquette, toutes les autres rues étaient barrées. […]
Pranzini dort profondément. À deux reprises, M. Bauquesne le secoue pour le réveiller. L’assassin de Marie Régnault se dresse sur sa couche, jette des yeux hagards tout autour de lui et pousse un cri rauque. Quel réveil ! En réalité, le misérable n’a cessé de compter sur sa grâce. Il fait de violents efforts pour parler un peu. — C’est un crime que l’on va commettre. Je suis innocent ! Et il ajoute, en faisant un violent effort pour paraître calme : — La seule chose que je regrette, c’est de n’avoir pu embrasser ma mère. En quelques secondes, la face est devenue livide.
— Du courage, Pranzini, lui dit M. Bauquesne. Votre crime était trop grand. M. le président de la République n’a pu vous faire grâce. Sachez bien mourir et racheter ainsi votre faute. […]
Il s’habille en tremblant, balbutie des phrases incohérentes. Puis il demande de l’eau froide pour se laver le visage et les mains."
Vient ensuite la description de la mise à mort et du dernier geste, resté célèbre, de l’exécuté [Voir l'archive] :
"Le voici devant la bascule. […] Un aide lui empoigne la tête, l’amène sous la lunette, le maintient par les cheveux.
Mais avant que ce mouvement se soit produit, peut-être un éclair de repentir a-t-il traversé sa conscience. II a demandé à l’aumônier son crucifix. Il l’a deux fois embrassé."
Dans les années 30, l'histoire inspirera une pièce de théâtre, La Complainte de Pranzini et de Thérèse de Lisieux [voir les articles sur le sujet].
Retrouvez le premier volet de notre série consacrée au meurtrier de l'avenue Montaigne.