La résurgence contre-révolutionnaire de 1815
Vingt ans après les révoltes de l’ouest et tandis que le Premier Empire touche à sa fin, la Vendée est de nouveau un théâtre d’affrontements – cette fois-ci, avec les armées napoléoniennes.
En avril 1814, les populations de l’ouest accueillent dans la liesse le retour de Louis XVIII et des Bourbons. Très vite cependant, des tensions se font jour.
Par souci de continuité de l’État, les agents de Napoléon sont restés en place et les exigences fiscales ne se relâchent guère. Dans ce contexte, il suffit qu’une rumeur se propage, celle de massacres commis par des gendarmes, des jacobins ou des Polonais, pour qu’une formidable levée de boucliers mobilise, du 3 au 5 mai, des milliers d’hommes dans l’ancienne Vendée militaire.
Nourrie du traumatisme des « colonnes infernales », cette grande peur débouche sur un mouvement contre-révolutionnaire : encadrés par les châtelains et les anciens capitaines de paroisse, les Vendéens intimident les patriotes et les fonctionnaires.
Embarrassées, les autorités de la Restauration appellent au retour à l’obéissance. Ainsi peut-on lire dans le Journal des Débats du 18 mai cet appel à la clémence destinés aux « braves Vendéens » :
« Braves Vendéens,
vous avez glorieusement combattu pour votre religion et pour votre Roi. Vos vœux sont enfin accomplis : votre Roi et votre religion vous sont rendus […].
Je viens vous parler en son nom. Je viens vous faire connoître [sic] toute sa pensée pour le bonheur du peuple français.
Votre Roi rentre en France l’olivier de la paix à la main […]. Il ne veut se souvenir des torts de personne. Point de vengeance, point de spoliation, point de réaction d’aucun genre ; voilà sa royale et magnanime volonté. »
De même, sur place le prince d’Angoulême paie certes son tribut d’hommages à la Vendée du passé, mais sans cesser de prêcher l’oubli et la réconciliation.
« Je suis sensible aux sentiments que vous [les habitants de l’Ouest] me marquez. Je connais ceux dont est animé le département de la Mayenne, je ne les oublierai pas.
La paix, mon cher curé, la paix, la tranquillité, le bon ordre ; oublions tout le passé, que les Français soient tous frères… »
Faut-il dès lors s’étonner que la Vendée ne bouge guère en mars 1815, au retour de Napoléon ?
Il faut l’imminence d’un nouveau conflit européen pour que s’organise un soulèvement : l’ombre de la conscription jette des jeunes gens dans la clandestinité ; surtout, la guerre fait espérer le soutien logistique de l’Angleterre.
C’est non seulement parce qu’il est le frère de M. Henri, l’illustre généralissime de 1793, mais encore parce qu’il a des liens privilégiés avec Londres, que Louis de La Rochejaquelein prend la tête de la prise d’armes déclenchée le 15 mai 1815.
La levée est cependant loin d’être générale. Aussi, les premiers échecs démoralisent d’emblée les insurgés : le général Travot qui, dix-neuf ans auparavant, avait capturé Charette, bouscule le 20 mai les royalistes à Aizenay, où meurt son neveu Ludovic de Charette.
Le pouvoir napoléonien joue de la référence à 1793 et 1794 pour mettre en garde les habitants contre un déchaînement de violences, et cherche une victoire décisive ; l’armée de la Loire, confiée au général Lamarque, doit en être l’instrument.
« Les Anglais n'ont pas, ainsi qu'on l'a dit, débarqué 800 Hommes dans la Vendée.
D'après les lettres de Nantes, ils n'ont mis à terre que quelques anciens chefs de chouans, avec des armes et des munitions. Le général Travot s'est mis en marche sur-le-champ, et s'est emparé d'une grande partie des fusils qui avaient été débarqués.
Le gouvernement a pris des mesures propres à assurer la tranquillité d'un pays qui s'efforce en vain d'agiter, et qui ne voudra plus être ensanglanté pour une cause dont ses malheureux habitants ont été si longtemps victimes. »
Le Moniteur Universel consacre un article à la constitution de cette nouvelle « armée de la Loire », créée en soutien au lieutenant-général Travot, en charge de l’ordre en Vendée.
« On a appris ici avec la plus vive satisfaction que l'Empereur venait de créer une belle année sous le nom d’armée de la Loire : le lieutenant-général comte Lamarque en a le commandement en chef. On l’attend à chaque instant. […]
Des divisions de réserve ont été formées à Niort, à Poitiers et à Nantes. Les Anglais ont débarqué à Saint-Gilles des munitions, des armes et des agents d’insurrection, et sans les mesures vigoureuses qui sont prises, nous verrons bientôt se renouveler les malheurs de la Vendée. »
En situation de force, les chefs bonapartistes multiplient les proclamations magnanimes pour isoler les nobles des paysans. Malgré l’extension du conflit à la Bretagne, on veut croire que l’insurrection retombera : « Les motifs qui les avaient fait naître en 1793, les hommes et les choses ne sont plus les mêmes. »
« Les mouvements qui s’étaient manifestés dans la Vendée semblent se calmer : un assez grand nombre d’ex-nobles qui avaient quitté leurs habitations et qui étaient soupçonnés d’être les moteurs d’insurrection, sont rentrés dans leurs foyers, par suite des proclamations dirigées contre eux, avec promesse de se tenir tranquilles. »
Il n’empêche : malgré la succession de nouvelles rassurantes, les événements de l’ouest ne disparaissent pas des colonnes de journaux : La Gazette de France poursuit ses mentions du conflit entre insurgés royalistes et armée impériale :
« Les rebelles ont évacué Bressuire. Le nord du département des Deux-Sèvres semble même jouir dans ce moment d’une sorte de tranquillité. Mais, suivant une lettre de Luçon du 30 mai, les troubles de la Vendée ne paraissent pas vouloir finir. »
Le combat des Mathes, le 4 juin, et la mort de Louis de La Rochejaquelein qui en est le fait majeur, sont alors d’autant mieux mis en relief que ces papiers font connaître les dissensions qui avaient fait éclater l’état-major royaliste.
« Voici quelques détails sur la mort de La Rochejaquelein. Quoique les insurgés fussent à peu près huit contre un, qu'ils fussent bien armés et retranchés dans des fossés jusqu'au cou, un grand nombre refusoit [sic] de se battre et cherchoit à s’échapper.
Alors on a vu accourir un homme très bien monté, et qui, à grands coups de plat de sabre et en les appelant “canailles”, les a forcés à tenir.
Comme il se trouvoit en ce moment vis-à-vis de la compagnie de gendarmerie municipale de Paris, M. le lieutenant Lupin a recommandé à son peloton de diriger son feu sur lui. »
Le pouvoir ne contrôle cependant pas tout : le 19 juin, La Gazette de France, pourtant bien tenue en main, insinue l’idée d’une grave défaite. Cette fausse nouvelle nourrit le lendemain les débats des représentants sur la liberté de la presse.
Pourtant marquée par des chocs de quelque portée (à Thouars, à La Rocherservière et à Auray, du 19 au 21 juin), la suite du conflit est éclipsée par les opérations en Belgique jusqu’à disparaître dans la crise provoquée au même moment par Waterloo.
Le renversement de situation induit par la défaite napoléonienne est si complet que la soumission imposée aux chefs vendéens par le traité de Cholet, le 26 juin, perd tout son sens.
Immédiatement ralliée aux Bourbons, la presse peut, non sans approximation, donner la Vendée en exemple de constance et de résistance royaliste.
« L’ouest n’a jamais reconnu Napoléon ; et après deux mois de combat, les phalanges impériales n’ont peu triompher des insurgés.
Depuis, et au bruit de nos revers, les défenseurs des lys ont redoublé d’ardeur ; ils ont tous maintenant un cœur de lion. […] Le drapeau blanc, à son tour, vole de clochers en clochers.
De toutes parts le glaive est levé sur les partisans de la nouvelle dynastie : encore quelques jours, et le sanglant théâtre qu’offre la Vendée s’étendra sur la France entière. »
Et c’est bien cette continuation d’une même lutte que célèbreront les cérémonies du souvenir, effaçant les nombreuses ambivalences et la singularité du conflit de 1815.