Écho de presse

La grève des midinettes, joyeuse et victorieuse

le 06/01/2022 par Michèle Pedinielli
le 19/06/2018 par Michèle Pedinielli - modifié le 06/01/2022
Le 18 mai 1917, les couturières des maisons parisiennes sont en grève - source : Gallica-BnF

En mai 1917, les ouvrières de la couture refusent l’amputation de leur salaire d’une journée chômée pour cause de guerre. Des milliers de midinettes cessent le travail pour l’application de la « semaine anglaise » intégralement payée.

À l'occasion de la sortie de l'application mobile « Hanna la Rouge : grève générale, novembre 1918 : un jeu du réel dans l'Europe Moderne Année zéro », RetroNews revient sur l'un des faits réels qui ont inspiré l'intrigue de cette fiction historique réalisée par Anita Hugi, co-écrite par David Dufresne et mise en image par Anja Kofmel.

 

 

On les appelle les midinettes, parce que, travaillant loin de chez elles et n’étant pas fortunées, elles se contentent à midi d’une dinette, c’est à dire un repas rapide, pris sur le pouce. Elles travaillent dans les maisons de couture parisiennes, tirant l’aiguille à longueur de journée (10 heures de travail quotidien) dans les ateliers pour réaliser les robes sur mesure des riches clientes, souvent oisives.

En ce mois de mai 1917, marqué les mutineries au front, les couturières de la maison Jenny, sur les Champs-Élysées, apprennent une mauvaise nouvelle : elles ne travailleront plus le samedi après-midi à cause des restrictions causées par la guerre. Et leur salaire sera amputé d’une demi-journée. C’est déjà le cas en Grande-Bretagne, pays soumis aux mêmes problèmes d’approvisionnement. Mais les ouvrières anglaises sont, elles, payées pour ce jour de chômage technique.

À Paris, les jeunes femmes se révoltent et les petites mains de chez Jenny sont les premières à laisser tomber leur ouvrage pour se mettre en grève le 11 mai 1917.

« Patrons et patronnes étaient loin de se douter que l'application de la semaine anglaise leur vaudrait un conflit de cette importance.

“Nous acceptons la semaine anglaise, ont répondu les cousettes, mais nous n'admettons pas qu'elle entraîne une diminution de nos salaires.”

Aujourd’hui, les ouvrières sont unanimes à revendiquer une augmentation de un franc par jour et de 0,50 franc pour les apprenties. »

Les couturières de la maison Jenny sont bientôt rejointes par celles de la maison Cheruit de la place Vendôme. Le 15 mai, elles sont 2 000 à manifester dans les rues de la capitale.

« Sur les grands boulevards, un long cortège s'avance, ce sont les midinettes parisiennes, aux corsages fleuris de lilas et de muguet.

Elles courent, elles sautent, elles chantent, elles rient, et pourtant ce n'est ni la Sainte-Catherine, ni la Mi-Carême, c'est la grève. »

Ce cortège joyeux est acclamé par les passants, d’autant que la midinette jouit d’une belle image aux yeux des parisiens. Ce mot « évoque de gracieux visages de jeunes filles, des visions de vols de moineaux parisiens, des chiffons, des chansons, des sourires, de la gaieté même au milieu de nos tristesses », comme le rappelle un journaliste de la République française.

Tout en défilant joyeusement, les ouvrières n’en sont pas moins déterminées et résument leurs revendications en une petite chanson.

« Et l'on s'en fout,

On f’ra la s’maine anglaise

Et l’on s’en fout,

On aura nos vingt sous ! »

Illustrations tirées de l'application Hanna La Rouge, par Anja Kofmel
Illustrations tirées de l'application Hanna La Rouge, par Anja Kofmel

Les commentaires souvent paternalistes du début se transforment en analyse politique au fur et à mesure que le mouvement prend de l’ampleur.

« Il ne faut pas médire des Midinettes. Il n'est pas d'un bon esprit de les taxer de frivolité parce qu’elles travaillent dans les robes, qu'elles sont jeunes et jolies et qu'elles se parent d'un bouquet en riant, joyeuses, à la vie.

Rire et chanter ne les préserve pas de souffrir, d'avoir faim et de se courber, parfois sous la peine. Il ne faut pas médire de leur grève. »

Le mercredi 23 mai, plus de cent maisons de couture sont désertées de leurs ouvrières qui continuent à manifester. Les couturières sont rejointes par les modistes et les fourreuses, qui réclament elles aussi augmentation de salaire et semaine anglaise.

D’ailleurs, l’opinion se pose des questions au sujet de cette fameuse « semaine anglaise ».

« Qu’est-ce que cette semaine anglaise qu’on voudrait instituer dans les ateliers de couture ?

Nous ne savons pas bien si cela peut convenir dans ce métier. Autrefois, le samedi, on travaillait plus tard que les autres jours, pour livrer le lendemain dimanche les commandes en retard. Ce fut déjà bien de supprimer les veilles.

N’est-ce pas trop que de demander à cesser le travail le samedi à midi ? Nous posons la question. »

Au bout de 14 jours de grève, les midinettes obtiennent satisfaction. Leurs déléguées ressortent de la réunion de négociation avec le ministre du Travail et les représentants de la chambre syndicale et patronale le sourire aux lèvres.

« Les membres de la Chambre syndicale de la couture parisienne accordent une indemnité journalière de 0 fr.75 pour toutes les ouvrières, et de 0 fr. 50 pour les apprenties.

La chambre patronale accepte le principe de la semaine anglaise et se déclare prête à donner son appui pour la faire aboutir législativement.

Mais, en attendant le vote du projet de loi que le gouvernement déposera mardi sur le bureau de la Chambre, les patrons ont décidé de faire l'essai loyal de cette réforme et d'en faire bénéficier immédiatement leurs ouvrières. »

Parce qu’elles étaient jeunes, souvent jolies, souriantes, des fleurs piquées au chapeau ou accrochées à la boutonnière, les midinettes ont été tout d’abord regardées de haut puis applaudies avec amusement. Avant que leur victoire ne devienne historique, selon L’Ouest éclair.

« C’est, incontestablement, une victoire du féminisme.

Il sera désormais difficile à l'écrivain, au sociologue, au psychologue de condamner par avance et sans appel l'infériorité de la femme.

C'est surtout une victoire ouvrière. Le prolétariat féminin, tout le monde à peu près en convient, est victime d'une malhonnête exploitation, et cette exploitation de la femme, s'exerçant en ces jours tragiques au préjudice de milliers et de milliers d'ouvrières, d'employées, voire de fonctionnaires, est d'une si cruelle injustice qu'elle soulève des protestations de tous les côtés. […]

Lorsque les travailleuses de France auront toutes obtenu la semaine anglaise, elles se souviendront que c’est à la grève de la couture parisienne qu’elles devront cet avantage. »

Le 11 juin 1917, le Sénat et la Chambre des députés adoptent la loi « tendant à organiser pour les femmes le repos de l’après-midi du samedi dans les industries du vêtement ». Cette loi pose les bases du principe d’un jour et demi de repos par semaine, qui sera généralisé à tous les travailleurs par la loi sur la journée de huit heures, votée en 1919.

C’est donc en partie grâce à ces milliers de jeunes femmes descendues dans la rue en temps de guerre que les Français peuvent aujourd’hui savourer leur week-end.