L’obscure affaire du « pain maudit » de Pont-Saint-Esprit
Au mois d’août 1951, une mystérieuse intoxication tue 7 personnes et provoque l’internement d’une cinquantaine d’autres, victimes d'hallucinations. En cause, le pain consommé par les victimes.
C’est au jour du 16 août 1951 que les premiers étranges symptômes apparaissent chez les Spiripontains passés chez le boulanger. Des hallucinations visuelles, auditives, sensorielles et psychologiques – l’une des victimes s’est jetée par la fenêtre, persuadée qu’elle « pouvait voler ».
Les spéculations vont bon train sur les causes de la tragédie. L’affaire rappelle en loin celle des convulsionnaires de Morzine, cas d’hystérie collective religieuse, évoquée ici dans le journal La Presse.
Au bout de quinze jours d’incertitude, les premiers échos nationaux, comme celui de l’hebdomadaire de la région parisienne L’Écho Nogentais, évoquent une intoxication alimentaire de plus dans un été traversé de cas similaires (quoique beaucoup moins spectaculaires) sur le reste du territoire.
Le boulanger de Pont-Saint-Esprit admet en outre une plausible responsabilité.
« M. Briand a reconnu avoir mélangé à la bonne farine un sac de farine qui n’avait pas bon aspect. Il a précisé qu’il lui arrivait fréquemment de recevoir de la farine contenant des fèves et du seigle.
Or, c’est dans le seigle que l’on trouve le plus souvent de l’ergot, qui est à la base de l’intoxication. »
L’hypothèse se mue en théorie officielle. Le champignon ainsi créé est connu des scientifiques et du corps médical pour ses capacités psychoactives, mentionnées en termes pétrifiés dans cette édition de 1770 de la Gazette du commerce, et décrites avec plus de rigueur un siècle plus tard dans les pages de La Petite République en 1887.
Trois jours plus tard, un rebondissement évoqué dans le quotidien chrétien démocrate L’Aube nuance la thèse privilégiée.
« L’analyse, par le laboratoire militaire de Marseille, d’échantillons supposés toxiques, saisis à Pont-Saint-Esprit a été négative. Aucune trace d’ergot de seigle n’y a, en effet, été décelée. Il faudrait donc admettre qu’une substance nocive d’une autre nature – mais alors, laquelle ? – serait responsable des graves accidents survenus.
Ajoutons que pour sa part, le professeur Olivier, qui avait effectué les précédents examens, a maintenu formellement les conclusions consignées dans son rapport au juge d’instruction de Nîmes : le pain analysé par ses soins, a-t-il confirmé, contenait bien des doses mortelles d’ergotine.
Contradiction ? Pas forcément, car il est difficile de déterminer d’une manière certaine si le pain analysée à Marseille était bien celui-là même qui a provoqué les intoxications. La teneur peut d’ailleurs varier du tout au tout suivant la profondeur à laquelle on puise dans le même sac. »
Doute ou pas, à l’heure où le nombre de victimes s’élève désormais à cinq, la nécessité de trouver un coupable se fait de plus en plus pressante. Les soupçons se déplacent du boulanger vers son minotier.
« Le magistrat instructeur a, en effet, établi qu’au début du mois d’août, avant les événements de Pont-Saint-Esprit, une centaine de malades avaient été soignés dans les communes de Connaux, Issirac, Laval-Saint-Roman et Saint-Julien-de-Peyrolas, après avoir consommé du pain fait, dit-on, d’une farine provenant de moulin de Maillet. »
Autre hypothèse, où cette fois-ci la mairie de la ville serait impliquée : l’eau du robinet de Pont-Saint-Esprit. Mais comme les autres, celle-ci ne tarde pas à s’effondrer.
« Contrairement à ce qu’on pouvait espérer, aucune lumière nouvelle n’est sortie de la confrontation du minotier Maillet, de son commis Bertrand et de Bruère, le boulanger de Saint-Martin-la-Rivière. Maillet et Bruère sont restés sur leurs positions.
Quant à Bertrand, après avoir d’abord affirmé qu’en échange du blé suspect livré par Bruère, Maillet lui avait fourni de l’excellente farine, il a été moins affirmatif et a déclaré que, malade à cette époque, il n’avait pu savoir ce qui avait été livré à Bruère en échange de son grain. […]
Quant au maire de Pont-Saint-Esprit, il a exposé qu’à son avis l’eau ne pouvait être tenue pour la cause des empoisonnements, contrairement à l’opinion émise à ce sujet par un ingénieur, M. Vincent.
Le maire a, du reste, précisé que de nouvelles analyses de l’eau avaient été faites – notamment au robinet de la boulangerie de M. Briand – après les douloureux événements, et que tous ces examens avaient été négatifs. »
Faute d’autre piste viable, la thèse de l’ergotisme est alors définitivement retenue par les autorités, sur la foi des analyses du professeur Olivier.
L’affaire du pain maudit est alors classée. Pour un temps. Un demi-siècle plus tard, des informations éparses surgissent, d’abord dans des cadres conspirationnistes puis étayées factuellement de multiples témoignages, sur les expérimentations des services secrets américains autour d’une puissante drogue synthétisée à partir de l’acide lysergique contenu dans l’ergot : le LSD.
Dans son livre enquête A Terrible Mistake à propos du suicide équivoque du biochimiste Frank Olson, paru en 2009, le journaliste américain Hank P. Albarelli Jr évoque la possibilité que la CIA ait testé l’impact du LSD sur les populations civiles dans de multiples localités américaines et d’ailleurs – citant nommément Pont-Saint-Esprit.
Aucune des théories sur le pain maudit de Pont-Saint-Esprit n’est à ce jour entièrement vérifiée.