L'été 1911 en France : deux mois et demi de fournaise et 40 000 morts
En 1911, les Français vivent deux mois et demi d’extrême sécheresse et de températures anormalement élevées. Une canicule parmi les plus longues de l'histoire qui fera quelque 40 000 morts, principalement des enfants en bas âge.
En juillet 1911, une vague de chaleur exceptionnelle déferle sur l’Europe, après avoir fait des dizaines de morts aux États-Unis.
Russie, Angleterre, Belgique, Pays-Bas, Suisse, France... Partout l'on suffoque sous l'effet de températures en hausse continue.
En France, c’est le début d’un épisode caniculaire inédit – sujet brûlant dont se saisissent les journalistes, tour à tour pédagogues, rassurants, fatalistes, ironiques ou exaspérés.
La vague de chaleur est « encombrante, envahissante, indiscrète, partout elle pénètre, elle s'insinue, elle se glisse, et sa présence pesante, alourdissante, migraineuse, se fait sentir, s'impose impérieusement », commente le très littéraire Gil Blas, tandis que Le Petit Caporal tente d'en prendre son parti en se réjouissant des conséquences sur l’agriculture :
« La vague de chaleur passe pour tout de bon sur la France : elle produit un relèvement de température progressif sur l'ouest et le nord de l'Europe. Il faut s’en réjouir pour notre agriculture, que les pluies récentes avaient largement gratifiée. Quelques semaines de ce temps chaud nous promettent de belles récoltes avec du grain beau, bien nourri, et d'un bon rendement. [...]
Que cette perspective des lauta segetes fasse prendre patience aux citadins brusquement inondés de soleil ! »
Les jours passent et la fournaise ne faiblit pas : le 22 juillet, la température atteint à Paris 7,6 degrés de plus que la normale ; le 23 juillet, il fait 40 degrés à l'ombre aux quatre coins de la France.
Le pays sombre dans l’engourdissement général.
Dans sa rubrique scientifique, le quotidien Les Annales politiques et littéraires commente les effets de cette chaleur prolongée :
« En thèse générale, une forte chaleur, durant deux ou trois jours, se supporte toujours assez allègrement, de même qu'un froid excessif. Où l'ennui et la fatigue commencent, c'est lorsque l'élévation thermique s'obstine et prend, sans motif valable, des allures de fonctionnement climatérique. C'est notre cas, en la présente occasion.
On supporte bien quelques journées au cours desquelles le baromètre est piqué, et où le thermomètre se tient à 26, 27, 28 degrés. Mais si, après avoir résisté, on est soumis à des journées de 30 à 36 degrés et à des nuits sans fraîcheur, la fatigue commence réellement ; on dort mal, l'appétit disparaît : il y a vraiment dépression.
L'énergie morale a besoin de venir compenser ce que perd, avec prodigalité, l'énergie physique. »
Cet infernal et interminable été inspire également les dessinateurs de presse.
Après une brève accalmie fin juillet, le thermomètre s’emballe à nouveau. Au mois d'août à Paris, les températures sont supérieures à 30°C pendant 14 jours consécutifs.
Les journalistes, tout aussi exaspérés que le reste de la population, commencent à prendre en grippe les météorologues et leurs prévisions erronées :
« [...] Ce qui n'est pas gai, c'est que les météorologistes officiels annoncent une baisse sensible de la pression barométrique. Et v'lan, nous sommes bons pour une nouvelle vague de chaleur puisque ces messieurs – qui ne sont jamais trompés ! à condition qu'on prenne le contrepied de leurs prédictions – nous font espérer la fraîcheur !
Sur le boulevard, hier, le thermomètre marquait à midi, exactement 47 degrés. À trois heures, il n'y en avait plus que 37. C'est plutôt suffisant, n'est-il pas vrai ? »
Tous les jours, les journaux égrennent la sordide liste des victimes de la chaleur, frappés d'insolation et de congestion.
Début septembre, après une nouvelle brève accalmie, la chaleur redevient extrême – on mesure 35,6°C à Paris le 9 septembre.
Le 10 septembre, Le Journal de Roanne s’inquiète :
« Depuis huit jours, une nouvelle vague de chaleur s’est abattue sur nous.
De mémoire d’homme on n’avait vu un mois de septembre aussi torride.
Le thermomètre marque, tous les après-midi, 33 et 31° à l'ombre. Au soleil, il fait plus de 40°. Aussi tout grille par la campagne. Les prés, ranimés et reverdis par les pluies d'il y a quinze jours, redeviennent couleur de poussière ; les mais se recroquevillent ; les betteraves cuisent dans terre.
Il n'y a plus rien dans les jardins non arrosés. Et l’eau devient de plus en plus rare ; elle a complètement disparu des petites rivières, et la Loire, qui avait un peu remonté, est redescendue au niveau qu’elle avait avant la pluie. »
On estime que 40 000 personnes périrent à cause de la chaleur au cours de l'été 1911, principalement des enfants en bas âge. Une catastrophe sanitaire largement documentée par les bulletins statistiques de l'époque mais qui fut passée sous silence par la presse, sans doute sous la pression des pouvoirs publics alors engagés depuis plusieurs années dans une lutte contre la mortalité infantile, dont cette crise menaçait de révéler les faiblesses.
Au total, ce sont deux mois et demi d’extrême sécheresse et de températures élevées que connurent les Français cet été-là. La canicule finira par cesser définitivement au milieu du mois de septembre, après quelque 70 jours de chaleur écrasante.