21 mars 1804 : l'exécution du Duc d'Enghien
En 1804, alors que les complots contre sa personne se multiplient, Napoléon Bonaparte décide de frapper un grand coup pour calmer les ardeurs royalistes : faire arrêter et exécuter le duc d'Enghien.
« Nos troupes ont passé le Rhin dans le silence de la nuit, près de Rhinau, et se sont de suite mises en marche pour Ettenheim.
Cet endroit a été enveloppé de manière que personne n'y pouvoit entrer, ni sortir. On n'y avoit aucune connoissance de notre expédition.
Cependant, lorsqu'un détachement entra dans le bourg (c'étoit le matin), il y eut quelque bruit. On assure que le duc d'Enghien est sauté de son lit, s'est armé à la hâte, et vouloit même tirer sur le commandant de gendarmerie qui étoit chargé de l'arrêter, mais que son propre secrétaire lui a pris ses armes.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il a été transporté ici sous bonne escorte. On dit qu'ensuite il a vomi des imprécations contre Pichegru. »
Le 29 février 1804, les espions de Bonaparte lèvent le voile sur une prétendue conspiration anglo-royaliste d'une ampleur inédite, qui vise le Premier Consul. Fomentée par Georges Cadoudal, déjà à l'origine de la conspiration dite de « la Machine infernale » en 1800 où une bombe devait tuer Bonaparte, elle a pour but, cette fois-ci, de le capturer en vue de l'amener en Angleterre.
L'enquête policière met en lumière que les comploteurs comptaient sur l'arrivée imminente d'un « prince du sang », membre de l'ancienne famille royale, afin de lancer l'opération. C'est alors qu'un agent double, Méhée de la Touche, transmet à Bonaparte un document sur lequel figure les noms de plusieurs nobles ayant émigré en pays de Bade, tous potentiellement suspects – parmi lesquels, le duc d'Enghien.
Face à l'urgence de la situation, le Premier Consul réunit un conseil exceptionnel le 10 mars aux Tuileries. Devant l'insistance et les conseils de Talleyrand, qui cherche à lever toute équivoque quant à sa loyauté envers le futur empereur, et de Fouché, ministre de la Police jouissant d'une grande influence, Bonaparte approuve l'arrestation du duc d'Enghien, bouc émissaire parfait, alors même que le comte d'Artois semblait plus à même d'être ce mystérieux prince de sang attendu par les complotistes.
Une opération de grande envergure est alors mise sur pied. Le 15 mars, un escadron spécial de cavalerie composé de mille soldats du 22e régiment de Dragons, commandé par le colonel Carrié de Boissy, passe la frontière qui sépare la France du territoire de Bade afin d’enlever le duc dans le petit village d'Ettenheim, où il s’est établi.
Si le degré exact d'implication du duc d'Enghien n'a jamais pu être clairement déterminé, tout semble pourtant accabler le dernier représentant de la maison des Condé. Mais, loin d'être étranger à la conspiration visant le Premier Consul, il n'en est pourtant certainement pas le principal instigateur.
Incarcéré à Strasbourg, La Clef du cabinet des souverains fait part, dans son édition du 22 mars, de l’attitude du turbulent duc lors de sa captivité :
« Strasbourg, 27 ventose. – Un employé supérieur de la poste aux lettres de cette ville vient d'être mis en état d'arrestation. Il est, dit-on, prévenu d'avoir favorisé la correspondance des conspirateurs avec les émigrés sur la rive droite du Rhin.
On assure que tous les détenus qui se trouvent à la citadelle ont déjà été interrogés, et qu'ils partiront demain ou après-demain pour Paris.
Le ci-devant Duc d'Enghien, continue à déclamer contre les conjurés qui ont mis tant de lenteur à exécuter le plan de la conspiration. »
C'est précisément le 27 ventose – soit le 18 mars 1804 – que le duc est extrait de sa cellule pour être rapidement conduit à Paris en malle poste.
Il y arrive le lendemain en fin de journée et est immédiatement incarcéré au château de Vincennes, attendant d'être jugé par une commission extraordinaire présidée par le général Huin, commandant des grenadiers à pied de la Garde des consuls.
Dans son édition du 22 mars 1804, le Moniteur universel revient sur ce que l'on reproche au duc d’Enghien, récapitulant l'ensemble des chefs d'accusation :
« La commission délibérant à huit-clos, le président a posé les questions ainsi qu'il suit :
Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc d'Enghien, accusé,
1° - D'avoir porté les armes contre la République Française, est-il coupable ?
2° - D'avoir offert des services au gouvernement anglais, ennemi du Peuple français, est-il coupable ?
3° - D'avoir reçu et accrédité près de lui des agents dudit gouvernement anglais ; de leur avoir procuré des moyens de pratiquer des intelligences en France, et d'avoir conspiré avec eux contre la sûreté extérieure et intérieure de l'État, est-il coupable ?
4° - De s'être mis à la tête d'un rassemblement d'émigrés français et autres, soldés par l'Angleterre, formé sur les frontières de la France, dans les pays de Fribourg et de Baden, est-il coupable ?
5° - D'avoir pratiqué des intelligences dans la ville de Strasbourg, tendantes à faire soulever les départements circonvoisins pour y opérer une diversion favorable à l'Angleterre, est-il coupable ?
6° - D'être l'un des fauteurs et complices de la conspiration tramée par les Anglais contre la vie du PREMIER CONSUL, et devant, en cas de succès de cette conspiration, entrer en France, est-il coupable ? »
Sans surprise, la commission, dans un simulacre de procès, déclare le duc d'Enghien coupable de toutes les accusations portées contre lui et prononce sa condamnation à mort.
Le jugement étant immédiatement exécutable, sans possibilité de faire appel, il est emmené de nuit dans les fossés du château de Vincennes, où un peloton d'exécution spécial, composé de huit gendarmes commandés par le général Savary, aide de camp du Premier Consul, l'attend.
Dans une ultime protestation, le duc d'Enghien demandera à s’adresser à Bonaparte et à lui écrire une lettre. Ce qui lui sera refusé. Vers trois heures du matin, son corps, transpercé de huit balles, s’écroule dans la fosse spécialement creusée pour lui.
Loin de calmer les tensions contre Bonaparte, l'exécution arbitraire du duc d'Enghien n'aura fait que les attiser, désignant le Premier Consul comme un tyran aux yeux des ennemis de la France. En 1816, la dépouille du duc d'Enghien, devenu un martyr pour les royalistes, sera exhumée par Louis XVIII pour être enterrée dans la Sainte-Chapelle du château de Vincennes, où elle repose toujours.
Le Premier Consul, devenu peu après Empereur des Français, restera très marqué par cette affaire. Las Cases rapporte qu'à Sainte-Hélène, Napoléon rougissait encore les rares fois où la conversation venait à évoquer le souvenir de Louis-Antoine-Henri de Bourbon-Condé, duc d'Enghien.