Écho de presse

Le vaudou : culte des « sanglantes folies » pour la presse des années 1920

le 06/08/2018 par Léa Vezzosi
le 15/05/2018 par Léa Vezzosi - modifié le 06/08/2018
Papa Nebo, Gouédé Mazacca et Gouédé Ossou, illustration parue dans Le Matin, 1929- source : RetroNews-BnF

En 1926, un fait divers macabre relance l’intérêt de la presse hexagonale pour le culte vaudou – ou parfois, woodoo – où se confondent crainte, mysticisme et sensationnalisme mortifère.

Originaire de l’ancien Royaume du Dahomey – actuel Bénin – la religion vaudou s’est muée en une croyance aux pratiques multiples empreintes de religions diverses.

À l’animisme s’est d’abord jointe la chrétienté suite à la réduction en esclavage des Noirs d’Afrique vers le continent américain, puis l’islam en Afrique du nord et de l'ouest, inscrivant ainsi la pratique dans un pluralisme constant. Dès lors, les adeptes se sont retrouvés en Haïti, à Cuba mais également en Amérique du nord, plus particulièrement en Louisiane, où le culte jouissait d’une forte popularité.  

S’il attise la curiosité des journalistes dans la seconde moitié du XIXe siècle pour son mystère et son caractère obscur, c’est à l’orée des années 1920 que les papiers se multiplient et sombrent dans le sensationnalisme. L’agression d’une certaine Rosa Parello à New York ravive l’intérêt pour ce « culte infernal »  et cette pratique souvent associée à la sorcellerie, voire au satanisme.

Alors qu'elle s'apprêtait à rendre visite à des amis au numéro 18 (parfois 10) de la rue Park Street, Rosa Parello est comme happée par « des bras énergiques ». Ils la saisissent et entament une cérémonie sacrificielle en la tailladant à l'aide d'objets tranchants. La victime hurle. Le Progrès de la Côte-d’Or  relate les faits :

« Mme Parello venait d’entrer dans cette maison pour rendre visite à des amis. Comme elle montait l’escalier, voici que, à la hauteur du second étage, une porte s’ouvrit doucement et Mme Parello se sentit immédiatement attirée à l‘intérieur par des bras énergiques.

On la poussa dans une chambre obscure, à peine éclairée par la lumière de lampes à huile. Terrorisée, Mme Parello voulut crier à l’aide ; on ne s’inquiète pas de ses cris, et deux personnages, identifiés comme étant Joseph Musca et sa femme, tenant le rôle de scarificateurs, se mirent en devoir de lui taillader le corps à coup de couteau et d’instruments aussi tranchants que des rasoirs, cependant que les assistants chantaient sur un ton guttural des cantiques incompréhensibles. »

Et d’ajouter :

« Mme Parello criait de toutes ses forces, tandis que le sang ruisselait de ses nombreuses blessures. C’était le moment où, après lui avoir tailladé les flancs et les seins, les sacrificateurs s’apprêtaient à lui attacher des touffes de cheveux, tout en dansant des danses nègres. »

Son cri couvert par les cantiques des fidèles finit tout de même par alerter des voisins, qui se précipitent dans l'appartement et découvrent un corps gisant, sanguinolent au pied de l'autel.

La victime est sauve, les époux sont arrêtés par les autorités mais les assistants sont tout de même parvenus à s'enfuir. Les journaux – qui pour la grande majorité, publient le même communiqué – ne manquent pas d’y ajouter quelques préjugés quant à ce culte ésotérique et de l’associer aux sacrifices humains. L’Avenir de la Mayenne titre « Les sanglantes folies du woodooisme » tandis que L’Ouest-Éclair revient sur un « cas curieux de régression religieuse » :

« C’est un fait bien connu et bien souvent constaté que la persistance, au sein d’une civilisation avancée, de croyances et de pratiques superstitieuses héritées ou renouvelées des époques les plus lointaines de la préhistoire. »

Face à l’horreur suscitée par l'histoire (et sa relative popularité), le journal régional breton reporte également le déroulé de certaines cérémonies vaudous grâce aux confidences de leurs rares témoins :

« Les initiés se réunissent en cachette, sous la présidence d’un grand prêtre et d’une grande prêtresse, dont le titre varie ; suivant les lieux on les appelle papaloï, roi et reine, maître et maîtresse, ou même, sinistre dérision, papa et maman. […]

Le prêtre et la prêtresse se tenaient près d’un autel sur lequel était placé, dans une caisse à claire-voie, un serpent sacré, divinité de ce culte. Le prêtre égorgeait soit un coq blanc, soit plus rarement une chèvre ; et le sang de la victime, recueilli dans un vase, était bu tout chaud par les assistants. »

Dans cette frénésie, les oracles débutent et plongent les initiés vers une possession corporelle par l'intermédiaire des « lwas » – synonymes de « mystères », qui représentent les dieux de la religion vaudou et s’incarnent dans la chair de leurs fidèles lors des phénomènes de possession. Corps et âmes convergent alors ensemble en une multitude de convulsions soutenues par des incantations et un chant « bizarre » :

«  ! Hê ! bomba ! heu ! heu – canga baffio té – canga monne de té – canga do ki la – canga fis. »

Au fil des festivités les corps – enivrés par un « breuvage » à base de tafia – se délitent peu à peu :

« Une sorte d’épilepsie s’empare des assistants. […] Ce sont des rites nerveux, des sanglots, des hurlements ; les uns roulent inanimés, d’autres se tordent à terre, écument, s’entre-mordent. Et la cérémonie, peu à peu, s’achève dans la plus dégoûtante orgie. »

Néanmoins, l’auteur de l’article ne cantonne pas ces pratiques cabalistiques au seul fait vaudou mais plutôt aux adeptes de « religions ancestrales », aux confins de la civilisation humaine des années 1920.

L’on ne manque pas non plus de rappeler qu’une sinistre affaire d’anthropophagie avait éclaté quelques années plus tôt, en 1911 en Haïti, où des familles entières furent manifestement offertes en offrande au « dieu vaudou » comme le rapporte Le Petit Journal : 

« Toute cérémonie du Vaudou commence généralement par le sacrifice d’un coq blanc ou d’une chèvre blanche. Puis vient le sacrifice principal, celui d’un “chevreau sans cornes”, c’est-à-dire d’un enfant, à défaut d’enfant, des femmes et même des hommes sont sacrifiés.

En 1911, à Haïti, plusieurs familles, père, mère, enfants, furent ainsi égorgés par les sectateurs du Vaudou. Souvent le “dieu” est présent à ces cérémonies effroyables. »

Dans sa chronique « Du point de vue de Sirius », le célèbre journaliste libertaire Victor Méric rédige un papier à charge contre la religion, et plus particulièrement le voodoo qu'il considère comme la manifestation d'un « fanatisme ». Selon lui, « Voodoo peut prendre le bateau », traverser les océans et s'immiscer jusqu'en Hexagone :

« On n’insiste pas assez sur la malfaisance de ces mabouls friands de mystères, amants de l’au-delà, qui véhiculent, de par le monde, les microbes de la superstition et du fanatisme. […]

Je répète, une fois de plus, qu’il est indispensable de prendre toutes les mesures de prophylaxie. Partout où l’on trouve des foyers  de contagion, pas la moindre hésitation. Il faut détruire ces nids, disperser ces chapelles, crever ces abcès. »

Se joue selon Méric, la pérennité de la raison humaine : « Qu’on les laisse agir, prêcher, cueillir des catéchumènes par milliers et bientôt, la Société toute entière ne sera plus qu’un immense asile d’aliénés féroces et sanguinaires. Il faut tuer “Voodoo” ou Voodoo nous aura. »

C’est avec la publication de L’Ile Magique : En Haïti terre du vaudou du journaliste et voyageur William Seabrook que certains journaux abandonnent l'angle de l’occulte pour traiter des rites vaudous, au profit d'une démarche relevant davantage des sciences humaines. Rites sanglants et sacrifices d'enfants sont écartés au profit d’un approfondissement des connaissances et l’exaltation d’une pratique que l’on ne qualifie plus seulement d’infernale.

Le Matin par exemple, consacre un sujet entier à ce que l'on appelle désormais le « mystère du culte vaudou » : 

« De ce culte, les journaux américains apportent de temps à autre un écho terrifié : on parle de ses rites sanglants, des orgies qui les accompagnent et dont des créatures humaines seraient victimes. Des excès cruels ont été en effet, commis. Mais quelle est au juste la vérité de cette religion et de ses mystères ? […] 

Ainsi j’appris […] que le vaudou est en Haïti une religion vivante et qui vit d’une vie aussi profonde que le christianisme à ses commencements ou au Moyen-Âge, quand miracles et phénomènes mystiques étaient pain quotidien ; que le vaudou est un vrai culte à la divinité, et que magie, sorcellerie, prestiges, sortilèges et maléfices ne sont que des sous-produits de la foi vaudou, des dérivés secondaires détournés de la ligne orthodoxe et parfois sinistrement contournés, tout comme ils furent au Moyen-Âge des sous-produits de la foi catholique. »

La presse ne percera jamais vraiment le mystère vaudou et en 1937 l’on recense un nouveau fait divers au dessein pour le moins alambiqué.

À l’époque, les travaux d’anthropologie et d’ethnographie ne sont pas encore parfaitement développés au sein des sciences humaines et naturelles, et rares sont les professionnels à étudier les fondements et applications de cette religion. Jean Price Mars fut l’un des premiers à rendre compte du sujet et à en donner une vision beaucoup moins terrifiante, l’inscrivant dans le patrimoine national haïtien, tandis que l’anthropologue américain Melville Herskovits posa les bases de l'anthropologie afro-américaine. En France, l’ouvrage d’Alfred Métraux intitulé Le Vaudou haïtien, publié en 1958, reste encore aujourd'hui une ressource essentielle dans l’étude du woodooisme.

Lors de son périple solitaire autour du monde, l'explorateur Yves Bertranet s'arrêta en Haïti et réalisa des prises de son des services tenus par les prêtres et prêtresses lors des cérémonies vaudous. Nous vous proposons d'en écouter plusieurs via le lecteur ci-dessous.


 

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