C'était à la une ! Les rêves du professeur Freud
La lecture du jour présente un article de Jean Bourdeau qui évoque la psycho-analyse du professeur Sigmund Freud.
En partenariat avec "La Fabrique de l'Histoire" sur France Culture
Cette semaine : Les rêves du professeur Sigmund Freud par Jean Bourdeau, Journal des débats politiques et littéraires, 4 novembre 1921.
Lecture par Elsa Dupuy
Réalisation Séverine Cassar
« LES RÊVES DU PROFESSEUR SIGMUND FREUD
La psycho-analyse est un mot nouveau substitué à l'analyse psychologique pour exprimer un mode d'observation et de traitement des maladies nerveuses, auquel le professeur Sigmund Freud, de Vienne, a attaché son nom et dont il a fait un système philosophique, le Freudisme.
M. Freud est un élève de Charcot et de Bernheim. Présenté comme une nouveauté merveilleuse, le Freudisme est sorti des écoles, de la Salpêtrière et de Nancy. L'exposé le plus clair et la critique la plus judicieuse en ont été donnés par M. Pierre Janet auquel M. Freud doit beaucoup ; et il a reconnu sa dette. Mais le professeur viennois a su donner à la Psychanalyse un retentissement, une vogue qui a dépassé l'enceinte des hôpitaux et exercé des ravages en littérature, grâce au prosélytisme des disciples. La guerre n'en a pas ralenti la propagande. De 1915 à 1917, M. Freud a professé ses leçons à Vienne devant un auditoire de docteurs et de profanes des deux sexes, leçons qui n'ont rien du calme et de la froideur d'une démonstration scientifique, qui ne demandent pas une aveugle adhésion, mais qui sont destinées à éveiller l'attention, à stimuler la curiosité, et qui se lisent comme un roman parfois bien scabreux, ou comme un conte d'Hoffmann. [...]
C'est aux rêves que le psycho-analyste attribue une souveraine importance. Les raconter passe d'ordinaire pour le sujet de conversation le plus stupide : les bourgeois idiots d'Henry Monnier s'y complaisent. Cependant quels pressentiments, quelle valeur prophétique ne leur attribuait-on pas autrefois ? [...]
Le rêve réalise les désirs refoulés pendant le jour par le moi, par la conscience qui joue le rôle de censeur. Notez ce mot « refoulé » : le refoulement, Verdraengung, est une des clefs de la psycho-analyse. [...]
Comment pénétrer le sens de ces idées latentes, entrevues dans le rêve, mais couverte d'un masque par crainte de la Censure, de ces forces directrices de la pensée que l'éducation, l'habitude maintiennent en nous, même pendant que nous dormons.
Si de telles idées émergent par instant, malgré l'état de veille, nous nous hâtons de les chasser, de les désavouer. Tels sont les désirs de vengeance, le mouvement de jalousie que nous cause le succès d'un ami, la satisfaction secrète de quelque revers infligé à un voisin, l'éventualité de la mort d'un proche envisagée sans trop de déplaisir, par-dessus tout les inspirations de la "libido". Notez encore ce mot, cette seconde clef de la psycho-analyse. [...]
Tolstoï dans "la Sonate à Kreutzer" nous rappelle que les pires tragédies sont celles de la chambre à coucher. Entre tous les sentiments inavoués et inavouables, la libido d'après Freud joue le premier rôle. [...]
Le Freudisme a rendu de grands services à l'observation psychologique, il apporte des vues nouvelles sur l'évolution de l'enfant. Il dégénère toutefois en pan-sexualité, alors que d'après le Dr Déjerine, le quart environ des cas peuvent se rapporter à la libido refoulée.
Quant aux résultats obtenus, le Dr Freud s'abstient de toute statistique. Il en est de la psycho-analyse comme des miracles de Lourdes, de la Christian science, des traitements philosophiques, elle a ses succès et ses revers.
Les disciples de M. Freud l'ont compromis par certaines ordonnances qui ont causé du scandale et contre lesquelles il a vivement protesté. La vulgarisation de la psycho-analyse a été jugée dangereuse : un séminaire d'enseignement suisse a jugé bon de l'interdire. [...] Moins susceptibles les auditrices profanes de M. Freud ont suivi ses leçons sans le concours de leur éventail. Des confrères soupçonnent M. Freud de s'être laissé lui-même suggestionner dans ses théories sur la libido par cette atmosphère voluptueuse qui faisait de Vienne, avant la guerre, une rivale de la Venise de l'Arétin et de Casanova.
Jean Bourdeau »