Écho de presse

Marie Bonaparte, princesse de la psychanalyse

le 14/05/2022 par Marina Bellot
le 01/02/2018 par Marina Bellot - modifié le 14/05/2022
Portrait de Marie Bonaparte dans les pages du magazine Les Modes, en 1902 - source : RetroNews-BnF

Loin de se limiter à la vie mondaine qui lui était promise, la descendante de Napoléon Bonaparte, proche de Sigmund Freud, fut une pionnière de la psychanalyse en France.

Marie Bonaparte naît le 2 juillet 1882 à Saint-Cloud. Sa mère meurt un mois après sa naissance, elle est donc élevée par sa grand-mère paternelle qui lui transmet une éducation bourgeoise rigide, à laquelle elle tente d'échapper en se réfugiant dans la lecture puis en écrivant des fictions, et en retranscrivant ses rêves dans cinq petits carnets qu'elle appellera ses « Bêtises ». 

En 1905, elle entame la vie mondaine à laquelle elle est destinée et épouse deux ans plus tard le prince Georges de Grèce. Son mariage fait figure d’événement « sensationnel » et glamour.  
Le journal féminin Les Modes commente ainsi : 

« La réception qu'on lui fit à Athènes fut d'un enthousiasme indescriptible. Le jour du mariage l'enthousiasme du peuple athénien fut à son comble. Lorsque la princesse Marie Bonaparte parut en haut des marches de l'église au bras de son père, ce fut un émerveillement. »

Dès lors, elle fera régulièrement la joie des magazines féminins, qui ne cessent de louer sa grâce et son goût certain pour la mode. 

Mais Marie Bonaparte ne se cantonnera pas à ce rôle de princesse mondaine et modèle. Bien au contraire. 

Érudite, elle s’intéresse notamment aux questions sociales et publie en 1921 son premier ouvrage, Guerres militaires et guerres sociales dont Les Annales politiques et littéraires publient des extraits « d’un vif intérêt psychologique » : 

« Les hommes jaunes, depuis des millénaires, peuplent l'immensité de l'Asie orientale : plaines, steppes, plateaux, vallées, rives des fleuves et des mers. [...] Leurs bonheurs sont moyens, mesurés comme leurs gestes menus, et sans le désir et le tourment d'un bonheur supérieur. Le ciel lui-même ne leur promet pas la radieuse survie des paradis occidentaux, leur civilisation immobilisée ayant imaginé le paradis à son image. Leur Tao comme leur Nirvâna sont des rêves de quiétistes pour qui le repos, fût-ce dans le néant, est le suprême bien. »​

C’est sa frigidité qui l’amène à étudier la sexualité, puis à s’intéresser à l'Introduction à la psychanalyse de Sigmund Freud. 

En 1923, elle écrit sous le pseudonyme d'A. E. Narjani un article intitulé « Considérations sur les causes anatomiques de la frigidité chez la femme ». 

Un an plus tard, à la mort de son père, elle sombre dans la dépression et entame une psychanalyse avec Freud lui-même – elle durera 14 ans. 

En 1926, elle cofonde la Société psychanalytique de Paris, et subventionne la première revue psychanalytique française, la Revue française de psychanalyse en 1927. Surtout, elle traduit l'œuvre de Freud en français.

Elle ne cesse de s’atteler à l’étude de thèmes difficiles tels que la névrose des enfants, sous les commentaires admiratifs et flatteurs de la presse, comme L’Ère nouvelle qui lui consacre un papier en 1930 : 

« Elle ne se contente pas, comme la plupart des dames du monde aristocratique, de passer des jours fortunés au milieu des réceptions, des thés, et des garden-party. Volontairement, ascétiquement, passionnément, elle s’est consacrée à la plus délicate, à la plus complexe des sciences contemporaines : la psychiatrie. 

Et c’est le problème angoissant de la névrose infantile auquel elle consacre ses soins les plus maternels. Devant le congrès que les psychanalystes français viennent de tenir à Sainte-Anne, la princesse Georges de Grèce a dans un rapport sensationnel, émis des “propositions de réforme éducative” qui font grand bruit.

L’enfance d’aujourd’hui [...]   est, ainsi que l'adolescence studieuse, menacée d’un mal comparable, dans le domaine moral, selon Mme Marie Bonaparte, à ce qu’est la tuberculose dans le domaine physiologique : la névrose. La névrose, terrible fléau de nos sociétés supracivilisées ! »

En 1938, Marie Bonaparte aide Freud à quitter l’Autriche, en versant aux nazis la somme colossale qu’ils exigent pour le laisser s'expatrier.

Le Petit Parisien rapporte : 

« Freud séjournera deux jours à Paris. Il est l'hôte de Madame Marie Bonaparte, la princesse de Grèce. Dans la somptueuse résidence de cette femme éminente, qui écrivit plusieurs ouvrages de psychanalyse, Freud, entouré des siens, se repose des émotions d’un voyage confortable dans ses épisodes mais atroce dans son principe. »

Elle-même prendra le chemin de l'exil durant la Seconde Guerre mondiale, en Grèce puis en Afrique du Sud. De retour en France après la guerre, elle poursuivra ses engagements mais, à partir de 1957, s'investira de moins en moins dans la Société psychanalytique de Paris.  

Atteinte d'une leucémie, elle meurt le 21 septembre 1962 à la clinique de Saint-Tropez. Elle lègue à la Société psychanalytique de Paris des autographes de Freud, plusieurs collections complètes de ses œuvres, et des revues de psychanalyse rares.

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Pour en savoir plus :

Cycle « Femmes et psychanalyse » à la BnF : découvrez le podcast et la bibliographie de la séance consacrée à « Marie Bonaparte et le projet d'une science du plaisir féminin (1920 - 1930) »