Le mystérieux signal lumineux de Mars à la France
En 1894, un astronome de l'observatoire de Nice signale une projection lumineuse en provenance de Mars. La presse s'enflamme : et si les Martiens essayaient de communiquer avec nous ?
28 juillet 1894. L'astronome Stéphane Javelle, de l'observatoire de Nice, vient de faire une curieuse observation dans son télescope : il a remarqué une « projection lumineuse » tout à fait inhabituelle sur le bord inférieur de Mars. Le constat est confirmé par le docteur Krueger, de Kiel, qui transmet la nouvelle aux observatoires du monde entier. Vite, la presse s'enflamme.
Le 13 août, le linguiste Edouard Bonnaffé prend la plume dans Le Figaro :
« Pendant que la Chine et le Japon se font mille politesses en l'honneur de la Corée, pendant que messieurs les anarchistes, à coups de poignard ou de bombes, tentent de renouveler la face du monde, il se passe là-haut, dans ces espaces incommensurables où l'œil de l'homme ne plonge qu'avec effroi, un phénomène absolument nouveau, inouï. La planète Mars est en feu ! […]
Les astronomes, stupéfaits, se demandent quelle est la cause de cette immense lueur mystérieuse. De nouveau, se pose la troublante question : “Est-ce un signal ?” »
La communauté scientifique est en effet perplexe. Le Petit Caporal publie l'interview d'un savant, M. Lancaster, qui cite les hypothèses de ses confrères anglo-saxons :
« D’après M. Campbell, de l’observatoire Lick, il faudrait attribuer ces projections à l'éclairement des sommets des montagnes […]. Un autre astronome américain, M. Pickering, attribue ces projections à des amas de nuages, dont les crêtes seraient illuminées par la lumière solaire […].
On a cru à des éruptions volcaniques ou à des incendies de forêts. Suppositions qui relèvent de la fantaisie. Des éruptions volcaniques devraient, pour produire de pareilles lueurs, donner naissance à des amas de nuages d’un développement vraiment trop considérable [...]. Incendies de forêts ? Mais il faudrait croire que ces forêts recouvrissent des milliers et des milliers de kilomètres carrés pour que l'on parvint à voir, à cinquante-huit millions de kilomètres — la distance qui sépare Mars de la Terre — un incendie qui y aurait éclaté.
M. Lancaster pense que c’est à l’hypothèse de M. Campbell qu’il faut accorder le plus de créance. »
Mais l'hypothèse qui fait le plus de bruit est bien sûr celle d'un invraisemblable « signal » émis par les Martiens pour communiquer avec nous. Bonnaffé, toujours dans Le Figaro, recense ainsi les diverses initiatives qui ont suivi, partout dans le monde, l'annonce de la projection lumineuse :
« Un astronome allemand proposa de correspondre avec les Martiens au moyen d'immenses constructions géométriques qui devaient être bâties dans les plaines sibériennes. M. Galton, un Anglais, écrivit au Times une lettre, fort commentée à l'époque, où il offrait de faire établir, dans les deux hémisphères, une série de réflecteurs très puissants destinés à concentrer sur la planète la lumière solaire. Un troisième proposa d'utiliser les phares les plus intenses de nos côtes.
Mais l'idée la plus originale fut celle de cet Anglais, M. Haweis, qui demanda aux diverses Compagnies qui assurent l'éclairage de la ville de Londres d'éteindre, de cinq en cinq minutes, tous les becs de gaz de la capitale. Il voulait ainsi créer des intermittences d'obscurité et de lumière, de façon à éveiller l'attention des Martiens, dans le cas où ceux-ci auraient, au moment précis de l'expérience, braqué leurs prétendus télescopes dans la direction de notre planète ! »
Le linguiste rappelle dans son article que la question de la vie sur la planète rouge agite la communauté scientifique depuis une quinzaine d'années. Le professeur Schiaparelli, de Milan, avait en effet, en 1877 et 1879, observé des « canaux » réguliers à la surface de Mars, déclenchant un vif débat sur la nature artificielle ou naturelle de ces formations – certains, comme l'astronome Camille Flammarion en France, émettant l'hypothèse d'une présence intelligente sur la planète.
Pourtant, en 1894, beaucoup sont sceptiques. C'est le cas du très sérieux journaliste scientifique Henri de Parville, qui écrit en septembre dans Les Annales politiques et littéraires :
« On prête souvent aux autres les sentiments que l'on a soi-même. Il y a longtemps que l'on rêve sur terre de télégraphier aux planètes voisines que nous vivons perdus dans l'immensité des cieux. On a imaginé je ne sais combien de combinaisons [...].
Rêves et chimères ! Le projet qui est vieux d'un siècle est irréalisable. Les modernes ont pensé aux signaux électriques. La lumière électrique est une lumière sérieuse. Mais on ne remarque pas assez que Mars tourne et nous aussi, si bien que le foyer lumineux aurait quelque peine à être orienté de façon à atteindre un but aussi éloigné et aussi infime. »
La question du « signal martien » aura en tout cas fait le bonheur des caricaturistes, à l'image de Henriot, qui consacrera aux prétendus habitants de Mars une planche entière dans Le Journal amusant :
Les « canaux » observés par Schiaparelli ont depuis été identifiés comme des illusions d'optique.
Toutefois, si l'hypothèse de « Martiens » intelligents et capables de communiquer avec d'autres planètes paraît aujourd'hui fantaisiste, la question de la vie (passée ou actuelle) sur Mars reste ouverte.
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Pour en savoir plus :
Consulter l’exposition virtuelle BnF « Sciences pour tous » sur « la nature sous toutes ses formes : dans les étoiles »