1871 : Marx à propos de la Commune de Paris
Dans une interview parue peu après les événements, le penseur du mouvement ouvrier donne son sentiment sur l'insurrection parisienne.
En 1871, quelques mois après l'insurrection de la Commune, Karl Marx est interrogé par le New York Herald. L'interview est reprise dans Le Gaulois du 22 août [Voir l'archive]. On lui demande quels étaient les liens entre l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), dont il est le chef, et le mouvement parisien, que Marx a célébré dans le pamphlet La Guerre civile en France, paru en mai :
"On a dit et écrit, a répondu Karl Marx, beaucoup d'absurdités sur les grands projets de révolte tramés par l'Internationale. Il n'y a pas là un mot de vrai. La vérité est que l'Internationale et la Commune ont fonctionné ensemble pendant une certaine période, parce qu'elles combattaient le même ennemi ; mais il est tout à fait faux de dire que les chefs de l'insurrection agissaient en vertu des ordres reçus du Comité central de l'Internationale de Londres."
Marx, qui depuis Londres a suivi attentivement l'évolution de la situation à Paris, dit ensuite avoir conseillé aux insurgés, dès le début du mouvement, de marcher sur Versailles :
"S'ils avaient fait cela, le succès était certain... Ils ont perdu cette magnifique occasion par l'incapacité de leurs chefs, et à partir de ce moment je prévis le résultat et j'en fis la prédiction à nos comités."
"L'incapacité de leurs chefs". Tel est le message que Marx entend faire passer : il n'a rien à voir avec les leaders de l'insurrection, qu'il accable de reproches parce qu'ils n'ont pas suivi ses orientations. Ainsi Flourens, d'après lui, n'était "pas plus capable de conduire une armée qu'un enfant de dix ans", Bergeret s'est révélé "complètement incapable", Assi était "un idiot", Rochefort "une espèce de bohème littéraire", Pyat un "déclamateur" et un "lâche"... Et quant à Victor Hugo, "sans contredit un grand poète", c'est aussi selon Marx "un de ces hommes toujours prêts à épouser une cause qui plaît à leur imagination. On ne peut compter sur lui."
Enfin, l'auteur du Capital réaffirme les principes de l'Internationale :
"La féodalité, l'esclavage, la monarchie, le capital, le monopole, tous doivent s'évanouir successivement de la face de la terre. La féodalité a disparu la première ; la monarchie s'en va si vite que nous la jugeons à peine digne de nos coups. Le monopole et le capital suivront bientôt. La lutte sera terrible ; mais elle est nécessaire et inévitable... […] Si notre parti arrivait au pouvoir, le premier acte du Parlement serait de déposer la reine et de proclamer la République. Ensuite nous mettrions toutes les grandes propriétés entre les mains de l’État, qui les exploiterait au profit des producteurs. Quant aux oisifs, il n'y aurait rien pour eux."
La même année, la défaite de la Commune et sa répression provoquera la scission de l'AIT, divisée entre la tendance marxiste et la tendance anarchiste défendue par Bakounine.