Les Mystères de Paris : feuilleton nocturne et souterrain
Du 19 juin 1842 au 13 octobre 1843, les lecteurs du Journal des Débats ont dévoré un roman-feuilleton d'Eugène Sue, précurseur d'un genre qui connaîtra un immense succès populaire.
Le 19 juin 1842, les lecteurs du Journal des Débats politiques et littéraires trouvent au "rez-de-chaussée" de leur journal un nouveau feuilleton, premier chapitre des Mystères de Paris, intitulé Le Tapis franc ("en argot de vol et de meurtre, signifie un estaminet ou un cabaret du plus bas étage", précise l'auteur).
Le père de ce feuilleton n’est pas un inconnu : issu d’une des familles de médecins les plus célèbres de l’époque, Eugène Sue, figure de la jeunesse dorée parisienne, est déjà célèbre pour ses prouesses de dandy et ses succès de romancier.
C'est son ami Prosper Goubaux, un auteur dramatique également proche d'Alexandre Dumas, qui lui souffle l'idée de délaisser la bonne société pour s'intéresser au peuple. Ce à quoi Sue répond alors, selon ce que rapporte Alexandre Dumas dans Les Morts vont vite : "Mon cher ami, je n’aime pas ce qui est sale et qui sent mauvais".
S'il a donc d’abord rechigné à explorer les bas-fonds parisiens, Eugène Sue finit par accepter. Et ce monde sera pour lui une révélation.
Cette plongée dans les recoins les plus sombres de la capitale, le lecteur va lui aussi y prendre goût et prendre plaisir à s'encanailler dans le dédale des rues obscures, étroites et tortueuses de ce Paris capitale du vice, avec ses personnages plus inquiétants les uns que les autres :
"L'Ogresse a quarante ans environ. Elle est grande, robuste, corpulente, haute en couleur et quelque peu barbue. Sa voix rauque, virile, ses gros bras, ses larges mains, annoncent une force peu commune; elle porte sur son bonnet un vieux foulard rouge et jaune, un châle de, poil de lapin se croise sur sa poitrine et se noue derrière son dos, sa robe de laine verte laisse voir des sabots noirs souvent incendiés par sa chauffrette ; enfin, le teint de l'ogresse est cuivré, enflammé par l'abus des liqueurs fortes. (...)
Le Chourineur, homme de haute taille et de constitution athlétique, a des cheveux d'un blond pâle sur le blanc, des sourcils épais et d'énormes favoris d'un roux ardent. Le hâle, la misère, les rudes labeurs du bagne ont bronzé son teint de cette couleur sombre, olivâtre, pour ainsi dire particulière aux forçats. Malgré son terrible surnom, les traits de cet homme expriment plutôt une sorte d'audace brutale que la férocité, quoique la partie postérieure de son crâne, singulièrement développée, annonce la prédominance des appétits meurtriers et charnels."
Les Mystères de Paris rencontrent un succès inouï. La foule se presse devant les kiosques à journaux lors de chaque parution d'un nouvel épisode, les illettrés se font conter les aventures de ces personnages hauts en couleurs... Quant à Eugène Sue, tout en ouvrant la voie au feuilleton populaire, il se met à se passionner pour la question sociale. Tant et si bien que le livre et son auteur connaîtront bientôt une destinée politique singulière.
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