Marcelle Capy, militante pacifiste censurée en pleine Grande Guerre
En 1916, tandis que les combats font rage sur le continent, le recueil d’articles pacifistes Voix de femme dans la mêlée est publié, offrant un contrepoint féminin et frondeur aux publications de « l’Union sacrée ». Sans surprise, l’ouvrage est immédiatement censuré.
Quand, en 1916, Marcelle Capy fait paraître sa Voix de femme dans la mêlée, son premier livre préfacé par Romain Rolland, il ne s’agit pas à proprement parler de littérature interdite – mais de littérature censurée.
Une censure d’autant plus apparente que, comme l'explique le vieux journal de la gauche républicaine modérée Le Siècle (27 mai 1916), « beaucoup de pages sont en blanc, car Mme Marcelle Capy ne pense point selon l’orthodoxie anastasienne. »
Dame Anastasie, la censure, est en effet très attentive durant ces années de guerre. Si comme dans L’Action (qui reprend le même texte non signé, le 29 mai), cette voix est jugée par Le Siècle comme bien fluette, ce n’est pas ce qu’en pense L’Éclaireur de L’Ain (11 juin 1916). Le journal de la Fédération socialiste de ce département rural déplore en effet la sévérité de la censure et encense les propos tenus par Marcelle Capy :
« Pages émues inspirées par la réalité tragique : pitié pour les victimes, critiques cinglantes des profiteurs et des “guerriers en chambres”, tableaux brefs, évoquant les scènes pénibles ou pittoresques de ces tristes temps ;
des larmes, du rire : telle est la matière variée et vivante de ce livre que consacre la haute autorité de Romain Rolland. »
L’Humanité socialiste reprend le même registre outragé, protestant violemment contre ce « qui constitue un véritable “monument” de ce qu’un fonctionnaire qu’on dit intelligent peut être amené à commettre par la sottise de sa fonction ». En effet :
« Marcelle Capy déteste la guerre, elle la hait, elle la trouve laide et le dit – elle tente du moins de le dire.
Mais, il n’y a dans son volume aucune opinion exprimée qui prétende à une application directe ou immédiate au conflit présent. »
Les interdits semblent alors d’autant plus étonnants que l’ouvrage publié par l’éditeur Paul Ollendorff (1851-1920) est en fait un recueil d’articles déjà parus et passés sous les ciseaux du censeur. Ils sont présentés comme des témoignages directs, « non manipulés », et veulent offrir un contrepoint aux récits nationaux, en tentant de faire changer l’opinion publique sur la guerre.
De ce fait, en février 1916, l’interdiction est d’abord totale. Le censeur estime que chaque article est une « goutte de poison », et que mis bout à bout, c’est une véritable fiole, d’autant plus redoutable que l’auteure est une femme... C’est l’intervention de la féministe et socialiste Séverine auprès d’Aristide Briand, qui va finalement permettre la publication de la moitié de l’ouvrage.
Quelque soit ce qu’on pense du livre, la journaliste est systématiquement associée à son préfacier. Pour ses admirateurs, du côté de la gauche pacifiste (L’Humanité, 16 juin 1916), les liens personnels de Marcelle Capy avec Rolland, l’illustre auteur d’Au dessus de la mêlée, sont un gage de la valeur de ces textes. Les autres rejettent plus ou moins violemment leur antipatriotisme, en s’appuyant notamment sur la thématique de la défense de la « civilisation » menacée par la « barbarie allemande ».
C’est évidemment encore plus le cas pour La Libre Parole de Drumont (15 octobre 1916), proche des catholiques ralliés à la République. Mais plutôt que de s’attaquer à Marcelle Capy, peu connue, le journal vise en priorité Romain Rolland, ce « Français de cinquante ans, retiré à Genève peu avant la guerre », dont les propos sont considérés comme antipatriotiques et révoltants pour les victimes de « l’agresseur » allemand.
C’est aussi le cas du journal de gauche L’Œuvre (16 juin 1916), qui apprécie cependant certains des articles de Marcelle Capy, notamment lorsqu’elle évoque l’aide aux orphelins de guerre. Malgré tout c’est bien une voix féminine qui nourrit pendant un mois une polémique sur ce qu’est être un « bon français » et sur ce qu’on peut dire sur la guerre.
La majorité de la presse souligne en effet le genre de l’auteur de l’un des rares textes français au féminin sur la guerre (à l’égal d’une Edith Wharton ou d’une Virginia Woolf en Angleterre).
« Pour la première fois, une femme ose en pleine mêlée, dire à haute voix des paroles de bon sens et de fraternité, ds paroles sincères et simples. »
L’Action féministe, l’organe de la Fédération féministe universitaire de France et des colonies est ainsi enthousiaste à l’égard de leur « camarade ».
Cependant, qui est alors Marcelle Capy (1891-1962) ? Écrivaine, journaliste, pacifiste et féministe, amie de Séverine, elle s’engage dans le combat social sous l’influence de Jaurès et de Marc Sangnier. Compagne du socialiste Pierre Brizon au sortir de la Grande Guerre, elle est l’un des fondateurs du journal pacifiste La Vague, dont elle devient la rédactrice en chef. La librairie du journal, d’abord située symboliquement au 20 rue du croissant, à côté de là où a été assassiné Jaurès, diffuse de ce fait son livre au sortir de la guerre. Elle obtient le prix Séverine en 1930.
Dans les années trente, tout en restant en dehors des partis politiques, Marcelle Capy fait ensuite partie du courant du « pacifisme intégral », luttant pour la paix à tout prix au sein de la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) et d’associations féministes. Grande oratrice, elle sillonne alors l’Europe en s’opposant « aux marchands de canons ».
En 1937, dans un contexte profondément différent et dans une France où les anciens combattants sont majoritairement considérés comme des victimes, elle décide de profiter de sa célébrité pour rééditer son recueil, cette fois-ci intégralement :
« Parce que tout cela recommence. Nous voyons revenir ce que nous avons maudit : cet esprit de guerre, fait de peur, d’avidité, de fanatisme. »
Plus de vingt ans après sa première parution, il n’est évidemment plus question de censure et les quelques critiques parues résonnent donc cette fois positivement.
Mais les souffrances de 1916 intéressent essentiellement de petits groupes de pacifistes qui, avec la montée du fascisme, sont de plus en plus divisés. Ainsi, Esprit (le journal d’Emmanuel Mounier) approuve son texte qui résonne avec les menaces qui pèsent sur l’Europe, mais déplore les propos antifascistes de Romain Rolland qui ne sont plus en accord avec sa préface de 1916.
Logiquement, Marcelle Capy restera pacifiste même après la victoire de l’Allemagne en 1940, allant même jusqu’à écrire en 1944 pour Germinal, le journal collaborationniste proche du RNP de Marcel Déat.
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Rachel Mazuy est historienne, chargée de conférences à Science Po et chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent. Elle travaille notamment sur l’histoire du mouvement ouvrier et celle de la Russie soviétique.
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Pour en savoir plus :
Marcelle Capy, Une voix de femme dans la mêlée, préfacée par François Thébaud, Entre-Temps, réed. 2015