« Napoléon » d'Abel Gance, un film fou
Après avoir vu « Naissance d’une nation » de D.W. Griffith, Abel Gance a le projet de rendre hommage à Napoléon Ier. À la suite de quatre années de travail et près de 450 000 mètres de pellicule, le film est présenté pour la première fois à l’Opéra le 7 avril 1927.
Un projet ambitieux
Quelques jours avant la première, Abel Gance, « génial metteur en scène » propose sa vision de La jeunesse de Bonaparte à l’école de Brienne, film projeté dans deux théâtres parisiens. Il entend présenter son point de vue sur « un personnage unique » de l’histoire de France.
Dans son film Napoléon, Les procédés techniques utilisés démontrent le talent du réalisateur pour trouver des « trouvailles » et interpellent les critiques de cinéma. Le fait d’avoir « osé briser le cadre traditionnel de l’écran » est une hardiesse relevée. La scène finale projetée en triptyque sur un écran de seize mètres de largeur est une prouesse technique faisant l’unanimité et qui vaut à Abel Gance d’être qualifié d’ « initiateur à peu près unique dans le monde cinématographique » par le Le Petit Journal du 9 avril 1927. Antoine, pour Le Journal, n’hésite pas à louer la mise en scène du spectacle :
« L’évènement de la semaine et il est considérable, c’est ce Napoléon qui a triomphé lors de sa présentation à l’Opéra. C’est que cette œuvre nous apporte, à mon sens, beaucoup plus que des beautés déjà vues en d’autres grands films ; l’expérience triomphale de ce triple écran élargit magnifiquement les possibilités du cinéma. »
La réception
La première projection du film à l’Opéra attire les « notabilités artistiques et mondaines » de Paris pour une soirée qui s’annonce mémorable. Parmi les spectateurs, les journalistes relèvent la présence de nombreux hommes politiques, comme le ministre de la guerre, Paul Painlevé, du préfet de la Seine et de nombreux généraux. À la fin de la projection, le public a longuement acclamé cette œuvre magistrale.
Après cette projection, de nombreux journalistes font part de leur adhésion à ce projet d’envergure. René Jeanne, pour le Petit Journal, n’hésite pas à comparer ce film à Variétés et à Métropolis. Jean Chataignier, pourtant très critique à l’égard du travail d’Abel Gance, se montre élogieux. Comme à contre-courant, Emile Vuillermoz se montre plus réticent, regrettant que « cette composition magnifique [ait] pour tare essentielle de n’être pas spécifiquement cinématographique » car, selon lui, Abel Gance s’est éloigné du septième art pour « faire une rentrée inattendue dans la littérature, dans l’ode, le drame historique, la peinture officielle, la sculpture d’Etat et le théâtre lyrique ».
Le jeu des acteurs est également salué, tout particulièrement celui d’Albert Dieudonné dans le rôle éponyme. L’apparition d’Abel Gance lui-même dans le rôle de Saint-Just est saluée par des acclamations. J-K Raymond-Millet se montre particulièrement critique à l’encontre de l’adaptation musicale et des musiciens de l’Opéra, les accusant de ne pas savoir ce « qu’était la Marseillaise ».
Abel Gance (1889-1981)
Réalisateur, Abel Gance est considéré comme un pionnier du cinéma. Il se fait connaître en 1919 avec J’accuse mais c’est son Napoléon qui lui offre une renommée internationale. L’échec commercial de son film La fin du monde brise sa carrière. Il réalise alors des films moins personnels. Après le prix national du Cinéma en 1974, il reçoit un hommage à la cérémonie des César. Sa filmographie comporte plus de cinquante film, comme La Roue (1923), Mater Dolorosa (1932), Lucrèce Borgia (1935) ou encore Austerlitz (1960).
Bibliographie
Kevin Brownlow, Napoléon : le grand classique d’Abel Gance, Armand Colin, 2012.
Jacques Aumont, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Armand Colin, 2008.