1802 : Quand Bonaparte rétablissait l'esclavage en France
Huit ans après son abolition en pleine Révolution, le premier Consul fait rétablir l'esclavage et la traite par la loi du 20 mai 1802, dans un contexte colonial particulièrement tendu.
« Je suis pour les blancs, parce que je suis blanc ; je n’en ai pas d’autre raison, et celle-ci est la bonne. »
Tels sont les mots prêtés à Napoléon dans les Mémoires sur le Consulat, sorte de carnet de bord rédigé entre 1794 et 1804 par l'homme politique et historien Antoine Claire Thibaudeau
Sans nul doute convaincu de la supériorité de la race blanche, à l'instar de la majorité de ses contemporains, Napoléon Bonaparte n'est néanmoins pas un fervent défenseur de l'esclavage. Et pourtant, en tant que premier Consul, il décide de le rétablir en mai 1802, huit ans après son abolition par le décret de Pluviôse.
Si Napoléon revient sur les principes de ce décret typique de la Révolution et sans précédent, c'est que la situation dans les colonies est alors particulièrement tendue : la Martinique, où les planteurs avaient pu conserver leurs eslaves grâce à la bienveillance des occupants anglais, vient d'être restituée à la France par la paix d'Amiens. Dès lors, le maintien de l’esclavage apparaît comme un gage des bons rapports renoués avec l’Angleterre.
Par ailleurs, à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti), le leader noir Toussaint Louverture a chassé les Anglais en octobre 1798 et aboli l'esclavage. Pris de court par ses velléités indépendantistes, Napoléon prend donc la décision de légaliser l'esclavage sur tous les territoires de la République et charge le consul Cambacérès de préparer la loi.
Le gouvernement se met immédiatement en branle : Cambacérès s’entoure du Conseil d'État, puis soumet un projet de loi au corps législatif, au Tribunat et au Sénat.
Le pouvoir a à cœur de montrer que le rétablissement de l’esclavage ne s’appuie pas sur des raisons idéologiques mais strictement pragmatiques.
L’heure est au devoir et non aux considérations humanistes, argumente ainsi en substance le rapporteur du projet devant le Tribunat :
« Devez-vous, comme magistrats, vous laisser entraîner par un sentiment qui vous honore comme hommes ? Hélas non ! quelque rigoureux que soit le devoir qui vous est imposé, vous devez le remplir. [...]
Quelque horreur qu’il inspire, [l’esclavage] est utile dans l’organisation actuelle des sociétés européennes, aucun peuple ne peut y renoncer sans compromettre les intérêts des autres nations…
Laissons au temps seul le soin de préparer et d’opérer dans l’organisation coloniale les changements que l’humanité réclame…
En vous laissant entraîner par un sentiment qui vous honore, vous sacrifieriez aux noirs les intérêts de votre pays, en détruisant une institution nécessaire aux colonies, devenues elles-mêmes nécessaires à notre existence. »
Les débats qui précèdent l'adoption de la loi mettent en avant le maintien de la paix et de l'ordre social :
« Qu'une partie du genre humain soit condamnée à l’esclavage, certes, il faut en gémir ; mais l’expérience est un grand maître, et la politique et notre propre intérêt nous prescrivent de ne pas briser la chaîne des noirs. [...]
La victoire nous a rendu la paix, et la paix nous a rendu les colonies. La loi proposée a été inspirée par des considérations puisées par une sage politique et dans l’amour même de l’humanité. Dans les colonies, la culture ne peut exister qu’au moyen des traites d’esclaves : propager un autre système, ce seroit vouloir anéantir les colonies. Eh ! que peut-on attendre d'hommes sans mœurs, sans principes, sans instruction ! [...]
Gardons-nous d’introduire des principes qui ont eu des conséquences si fâcheuses, et donnons aux colons la garantie qu’ils n’éprouveront jamais les malheurs qui ont désolé tant de familles. »
La loi est proclamée le 20 mai 1802 (30 floréal, an X).
En Martinique, le capitaine-général de l'île proclame ainsi devant les colons :
« Le gouvernement français maintient ces lois antiques qui firent le bonheur de la colonie, protège la religion de vos pères, garantit les propriétés dans toute leur intégrité et conserve l'esclavage qui fait partie de toute propriété coloniale. [...]
Malheur à celui qui oserait troubler l'ordre social établi dans la colonie, qui chercherait à jeter des soupçons ou à relâcher les liens qui vont l'unir à la métropole ! Le glaive de la justice saurait bientôt l'atteindre et le punir. »
Et de se réjouir, quitte à largement en rajouter :
« Une foule de nègres accompagnait l’officier de police chargé de cette publication, et faisait retentir l’air du cri de vive la République ! Voilà comme ils ont reçu la loi qui maintient l'esclavage. »
Les conséquences pour l'armée française engagée à Saint-Domingue seront, comme on le sait, désastreuses : le 18 novembre 1803, celle-ci sera contrainte de capituler devant les régiments formés par les anciens esclaves. La colonie française deviendra alors le premier État noir indépendant, sous le nom de Haïti.
Il faudra attendre plus de quarante ans pour que la France revienne sur sa sinistre décision et décide, le 27 avril 1848, d'abolir définitivement l'esclavage dans toutes ses colonies.