Marie-Angélique Duchemin, première chevalière de la Légion d’honneur
Pour s’être battue en Corse et avoir défendu le fort de Gesco puis la citadelle de Calvi en 1792, le sergent Duchemin, dite « la veuve Brûlon », devient la première femme décorée de la Légion d’honneur.
Le 15 août 1851, on remet le titre de chevalier de la Légion d’honneur au sous-lieutenant Duchemin. Prénom : Marie-Angélique.
« En tête de la liste des chevaliers de la Légion d'honneur dont les noms ont été publiés dans le Moniteur d'avant-hier, se trouve une femme, la veuve Brûlon, née en 1771, officier aux Invalides, qui, depuis cinquante-deux ans, jouit de l'estime et de la vénération de tous ses vieux compagnons de gloire. »
Née le 20 janvier 1772 à Dinan, Marie-Angélique est fille, sœur puis bientôt femme de soldat en épousant le caporal André Brûlon. Elle connaît bien les champs de bataille, puisqu’elle suit régulièrement l’armée en campagne.
« La veuve Brûlon a été fille, sœur et femme de militaires morts en activité de service à l'armée d'Italie : son père avait servi trente-huit ans sans interruption (de 1757 à 1795) ; ses deux frères ont été tués sur le champ de bataille en Italie ; son mari est mort à Ajaccio, en 1791, après sept ans de service. »
Celle que l’on appelle désormais la « veuve Brûlon » décide de s’engager dans l’armée à la mort de son mari et de son père. Elle a vingt-et-un an lorsqu’elle intègre le 42e régiment d'infanterie.
« Elle se fît aussitôt remarquer par une conduite si honorable, soit comme femme, soit comme militaire, qu'elle fut autorisée à rester au service malgré son sexe.
Elle a servi sept ans et fait sept campagnes (de 1792 à 1799) sous le nom de guerre de Liberté, dans le régiment devenu la 83e demi-brigade et depuis le 57e de ligne, en qualité de fusilier, de caporal, de caporal-fourrier et de sergent-major.
Dans plusieurs circonstances, notamment à l'attaque du fort de Gesco en Corse et au siège de Calvi, elle fit preuve d'une bravoure, d'un courage vraiment héroïque. »
Au fort de Gesco, malgré ses blessures, elle se débrouille pour trouver la poudre qui vient à manquer, permettant ainsi de conserver le fort sous les attaques des Anglais.
Les soldats qui combattent à ses côtés écrivent un certificat pour authentifier ses actes de bravoure.
« Nous soussignés caporal et soldats du détachement du 42e régiment, en garnison à Calvi, certifions et attestons que, le 5 prairial an II (1794), la citoyenne Angélique-Marie-Josèphe Duchemin, veuve Brûlon, caporal fourrier faisant les fonctions de sergent, nous commandait à l'affaire du fort de Gesco ;
qu'elle s'est battue avec nous avec le courage d'une héroïne ; que les rebelles corses et les Anglais ayant essayé l'assaut, nous fûmes obligés de nous battre à l'arme blanche ; qu'elle a reçu un coup de sabre au bras droit, et, un moment après, un coup de stylet au bras gauche ;
que, nous voyant manquer de munitions, à minuit elle partit quoique blessée, pour Calvi, à une demi-lieue, où, par le zèle et le courage d'une vraie républicaine, elle fit lever et charger de munitions environ soixante femmes qu'elle nous amena elle-même escortée de quatre hommes, ce qui nous mit à même de repousser l'ennemi et de conserver le fort ;
et qu'enfin nous n'avons qu'à nous louer de son commandement. »
Elle est sérieusement blessée pendant la défense de Calvi, ce qui l’oblige à rendre les armes.
« Plus tard, au siège de Calvi Angélique Duchemin manœuvrait une pièce de 16 dans le bastion qu'elle défendait, lorsqu'elle reçut une blessure grave qui la contraignit à renoncer à la carrière des armes. »
Gravement blessée à l’âge de 25 ans, elle demande à intégrer l’hôtel des Invalides mais n’y sera acceptée que sept ans plus tard avec le grade de sous-lieutenant, sur la proposition du général Latour-Maubourg.
« Aujourd’hui 2 octobre 1822, le roi étant à Paris, prenant une entière confiance en la valeur, la bonne conduite et la fidélité de la dame
“Angélique-Marie-Josèphe Duchemin, veuve Brûlon, Sa Majesté lui a conféré le grade honorifique de sous-lieutenant invalide, pour tenir rang à dater dudit jour 2 octobre 1822.
Mande Sa Majesté à ses officiers généraux et autres à qui il appartiendra de reconnaître la dame Duchemin, veuve Brulon, en cette qualité.” »
Elle passera toute sa vie aux Invalides, exerçant différentes responsabilités comme gérante du magasin d’habillement.
À sa mort en 1859, les journaux n’oublient pas de lui rendre hommage.
« Aujourd’hui, vendredi, à onze heures, a eu lieu en l’église Saint-Louis-des-Invalides, le service funèbre d'une femme héroïque dont la Patrie racontait récemment à ses lecteurs les exploits accomplis sous la première République et sous le premier Empire. […]
Un grand nombre d'officiers invalides, anciens compagnons d’armes de la défunte, ont accompagné ses restes à la chapelle où le clergé de la paroisse a célébré le service. Un détachement d’infanterie attendait, à l’entrée de l’hôtel, le char funèbre, qu’il a escorté jusqu'au cimetière Montparnasse, où les honneurs militaires ont été rendus à la défunte. »
Première détentrice de la Légion d’honneur, Marie-Angélique restera longtemps la seule femme à l’avoir obtenue pour faits d’armes. Elle sera rejointe plus d’un siècle plus tard par les résistantes Véra Obolensky (en 1958) et Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1997).