14-18 : Les journaux en guerre
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L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
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La vérité est-elle toujours la première blessée en temps de guerre ? Comment la censure et la propagande se sont-elles exercées en France pendant la Première Guerre mondiale ? L'historien Antoine Prost revient sur les différentes formes de désinformation et de manipulation de l'opinion pendant la Grande Guerre, mais aussi sur la clairvoyance développée par les Français.
Antoine Prost, professeur émérite à l’Université de Paris I (Centre d’histoire sociale du XXe siècle), a travaillé sur l’histoire ouvrière, celle de l’éducation et celle de la guerre de 1914. Il a notamment publié Les Anciens combattants 1914-1940, (2014), Penser la Grande Guerre (avec Jay Winter, 2004), Verdun 1916, une histoire franco-allemande, (avec Gerd Krumeich, 2015). Il préside le Conseil scientifique de la Mission du Centenaire 1914-1918 et celui du Mémorial de Verdun.
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RetroNews : Comment la censure s’exprime-t-elle en France pendant la Grande Guerre ?
Antoine Prost : Dès le début de la guerre, la censure s’exerce sur les morasses, les planches des journaux prêtes à être imprimées : elle supprime des passages entiers de texte, ce qui fait qu’on a souvent des blocs blancs dans les journaux ou les livres.
Deux principes organisent la censure :
- Ne pas donner des informations à l'ennemi dont il pourrait se servir contre nous ;
- Entretenir le moral de la population.
L’un des procédés les plus simples consiste à retarder la diffusion des mauvaises nouvelles, de façon à ce que l'opinion puisse s’y préparer. Cela consiste aussi à majorer l’importance des succès remportés, et à minimiser les reculs.
La presse résiste-t-elle ?
La presse résiste, mais résiste en essayant de se montrer plus maligne que la censure. D'écrire les choses à demi-mots, de telle sorte que le lecteur comprenne sans que les censeurs ne censurent.
La bataille de Verdun a-t-elle constitué le paroxysme de la censure ?
Je suis frappé au contraire de tout ce que la censure a laissé passer. Et pour cause : sur Verdun, la presse a réagi avec un temps de retard, en minimisant, en disant en substance : « si on perd Verdun ce n’est pas une catastrophe, on peut se replier, on a de bonnes positions ». L'autocensure des journaux est extrêmement forte. La censure d'État n’a, de fait, pas besoin de faire un énorme travail.
La propagande a-t-elle été forte en France ?
La propagande de guerre a été très forte : vous la trouvez dans les écoles, dans les campagnes d’affichage pour les emprunts, les journées du poilu etc.
Au début de la guerre, des journaux français vont jusqu’à écrire que si vous tendez aux soldats allemands une tartine piquée au bout d’une baïonnette, ils se rendent pour la manger !
De même, j’ai lu que, pendant la bataille de Verdun, les Allemands avancaient en rangs tellement serrés que quand les mitrailleuses les tuaient, leurs cadavres s'empêchaient les uns les autres de tomber. C’est complètement absurde. Des choses invraisemblables sont écrites, avant tout pour sécuriser les civils. On leur dit en somme : « certes, on perd beaucoup de monde, mais les Allemands en perdent beaucoup plus, tellement plus qu’ils ne peuvent même pas tomber quand ils meurent ».
14-18 : Les journaux en guerre
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L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
Les lecteurs ont-ils conscience de lire des informations fausses ou manipulées ?
Les Français développent un « savoir-lire » des textes censurés. On sait très bien que quand il est écrit qu’un repli est soigneusement préparé, ce n’est pas forcément vrai…
Il faut aussi savoir que les journaux étrangers ne sont pas interdits, et notamment pas les journaux suisses. Or, ils reproduisent ce qui est dit de la guerre dans les journaux allemands. L’information transite par la presse neutre et elle est connue en France. Il ne faut pas s’imaginer des pays totalement cloisonnés.
La censure et la propagande ont-elles été aussi fortes en Allemagne ?
La différence entre la France et l’Allemagne est importante pour les images : en Allemagne, il y a une censure a priori des clichés, c’est-à-dire qu’avant de faire paraître une photo dans un journal, il faut qu’elle ait été autorisée. En France, elle est interdite au dernier moment, ce qui rend la censure plus difficile. Il passe donc beaucoup plus de photos réalistes dans la presse française que dans la presse allemande.
Les magazines illustrés allemands n’ont pratiquement pas montré d’images de tranchées bouleversées par les bombardements. Les Allemands n’ont pas vu un cadavre en photo.
Les Français, eux, en ont vus : Le Miroir ou L’Illustration ont montré des champs de bataille avec des cadavres allemands. Il n’y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour se représenter un uniforme et une casquette différents.
Quant à la propagande, chez les Allemands, elle est plus large. Les journaux expliquent par exemple aux veuves qu’il ne faut pas qu’elles s'habillent en noir pour ne pas démoraliser le reste de la population. Un contrôle social s’exerce à travers la presse.
La vérité est-elle forcément la première blessée en temps de guerre ?
Une guerre sans censure ni propagande n’est certainement pas possible. Vous ne pouvez pas organiser la surprise de l’ennemi si vous dites tout sur la préparation de vos batailles. Les exigences militaires imposent une maîtrise de l’information stratégique.
Mais si la presse ment trop, si les mensonges sont trop grossiers, elle perd sa crédibilité et la propagande, son efficacité. Vous ne pouvez garder une influence sur la population que si vous ne trichez pas trop avec la vérité.
Les Français ont-ils compris tout de suite la réalité des tranchées ?
En 1915, ils continuent à avoir une représentation de la guerre modèle 1870, avec la charge de cavalerie où l’on bouleverse l’ennemi, l’assaut à la baïonnette...
Les soldats qui reviennent en 1915 sont accueillis par des gens qui leur disent : « Vous n’en avez pas encore fini avec les Allemands, quand est-ce que vous allez leur mettre une raclée ? ». Cela met les soldats hors d’eux, car ça montre que les civils ne comprennent absolument pas ce qu’ils vivent. En fait, ils n’ont pas encore les structures mentales pour appréhender cette réalité.
Avec les permissions, les blessés et les soldats qui racontent, avec les photos qui paraissent dans les journaux, les Français finissent en 1917 par savoir à peu près ce qu'est le front.
Comment le courrier des soldats est-il contrôlé ?
Pour les lettres qui descendent par les vaguemestres, il y a un contrôle postal de routine : 250 000 lettres lues par jour, sur 2 millions de lettres. Quand une unité a mauvais esprit, le contrôle postal est plus fort.
Chaque semaine, les états-majors reçoivent des synthèses fort bien faites, avec des citations de lettres de soldats. Elles sont absolument passionnantes. En 1916, dans la seconde armée, ces synthèses ont pour auteurs des officiers de réserve, dont l’historien Louis Madelin. Elles sont sans flagornerie et disent clairement si le moral se dégrade et pourquoi, si les soldats sont mal nourris etc.
Les soldats évitent d’écrire ce qui risquerait de les faire punir, ils s’autocensurent, mais ils utilisent aussi leurs lettres pour faire passer un certain nombre de messages au commandement par la bande.
La parole de soldats s’est libérée au fil du conflit.
Propos recueillis par Marina Bellot