14-18 : Les journaux en guerre
« 14-18 Les journaux en guerre »
L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
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Le 20 octobre 1915, une explosion secoue la rue de Tolbiac, à Paris. L’usine de l'armurier Billant est entièrement soufflée, ravageant une grande partie du quartier et faisant 48 morts, victimes indirectes de « l’effort de guerre ».
La fabrique de grenades était sise au 174 rue de Tolbiac, entre la rue du Moulin et la rue Bobillot, dans le 13e arrondissement de Paris. Le 20 octobre 1915, à 13h30, il n’en reste plus rien.
« Sur l’emplacement de ce qui fut l'usine, ce ne sont que décombres, tas de grenades, planches calcinées, armatures de fer tordues. Dans le voisinage immédiat, tout est détruit.
Aux environs de la place d'Italie, dans un rayon de deux ou trois kilomètres, les maisons portent les traces de l'explosion. L'école de la rue Vandrezanne ne possède plus aucun carreau. Rue du Moulin-des-Prés, rue de la Butte-aux Cailles, rue Bobillot, dans les rues avoisinant la place Paul-Verlaine, toutes les vitres ont volé en éclats.
Au commissariat de police, une forte porte en chêne et une canalisation de fonte ont été sérieusement endommagées. »
14-18 : Les journaux en guerre
« 14-18 Les journaux en guerre »
L'actualité de la première guerre mondiale en 10 grandes dates et 10 journaux publiés entre 1914 et 1918. Une collection de journaux réimprimés en intégralité.
Une violente secousse vient de désintégrer l’usine. Une « explosion terrible, entendue à plusieurs kilomètres à la ronde » selon les mots du Journal des débats.
« Des ouvriers procédaient à l'installation, sur un camion, de caisses contenant des matières explosives lorsque l'une d'elle tomba, occasionnant ainsi la déflagration de tous les engins qui se trouvaient à proximité.
Puis une seconde série de nouvelles détonations suivit, et un nuage de fumée s'éleva de l'usine, rendant impraticable toute opération de sauvetage. »
La déflagration s’avère si puissante qu’elle projette des débris de ferraille jusque sur l’avenue d’Italie, à près de 800 mètres de là. Le bilan est terrible. Il s‘établira in fine à 48 morts (dont certains ne seront jamais identifiés) et plus de cent blessés.
Les journalistes n’épargnent aucun détail macabre à leurs lecteurs.
« Après une heure d'un travail pénible, les pompiers avaient retiré des décombres trente-sept cadavres à peu près intacts et soixante-cinq blessés.
Mais que de membres épars, à-demi carbonisés, furent retrouvés : ici, c'était un tronc là, au milieu des briques et des moellons, une tête sectionnée au ras des épaules ; un cordonnier installé dans une échoppe, rue Bobillot, reçut, tel un projectile, un pied arraché au ras de la cheville. »
L’usine employait cent cinquante ouvriers, dont quatre-vingt femmes et jeunes filles, souvent âgées de moins de quinze ans.
Selon les premières conclusions de l’enquête, il semble qu’une erreur de manipulation soit à l’origine de la catastrophe. La chute d’une caisse de grenades durant le transport aurait occasionné des déflagrations en série pour finir par faire exploser le bâtiment entier. Quoique « bâtiment » soit un bien grand mot, puisque l’entrepôt Billant a été construit « quelques mois » plus tôt à la hâte et sommairement.
« L’usine sinistrée avait été installée, il y a quelques mois, sur un terrain vague en pente et de forme triangulaire ; ayant pour sommet, au Nord, la place Paul-Verlaine, pour base la rue de Tolbiac, et pour côtés les rués Bobillot et du Moulin-des-Prés.
Cette usine était construite en planches recouvertes de toile goudronnée. »
En effet, comme le confirme le secrétaire d’État chargé de l’artillerie et des munitions lors d’une interpellation à la Chambre, la menace constante des Allemands aux portes de Paris a incité les autorités à installer rapidement une usine de grenades en pleine capitale.
« Au mois de mai dernier, expliqua le ministre des munitions, à la veille des grands événements militaires, le G. Q. G. nous demanda avec insistance, de semaine en semaine, un approvisionnement plus fourni de grenades.
On s'adressa à un petit mécanicien qui avait inventé une grenade nouvelle, et on lui demanda de faire ses fabrications en grand. À côté de son atelier, il y avait un terrain libre qui fut utilisé, et c'est ainsi que fut créé l'établissement de la rue de Tolbiac.
La préfecture de police, prévenue, ordonna un certain nombre de mesures qui, presque toutes, ont été prises. C'est ainsi qu'on limita à une certaine quantité le nombre des grenades en magasin et qu'on établit des ateliers séparés pour chacune des opérations. Grâce à ces mesures, la catastrophe n'a pas été plus grave. »
Le même Albert Thomas sera toutefois contraint d’avouer qu’au lieu des 5 000 grenades par jour prévues à l’origine, l’usine en était venue à en traiter 15 000, dans des conditions précaires, pour répondre à « l’effort de guerre ».
Dans le même discours, il reconnaît également qu’un « atelier de ce genre installé dans Paris constituait un danger persistant » (alors qu’après l’effroyable catastrophe de 1794 faisant plus de 1 000 morts rue de Grenelle, la Convention avait décidé de délocaliser les poudrières hors de la capitale ).
Un mois plus tard sont organisées à Notre-Dame-de-Paris les obsèques des victimes non-identifiées, « modestes artisans tombés au champ d’honneur » comme l’explique L’Humanité. Le représentant du gouvernement en profite pour rendre un hommage patriotique aux femmes qui payent elles aussi leur tribut à l’effort de guerre.
« Celles que nous pleurons aujourd'hui dit-il, sont les sœurs de celles qui, chaque jour, dans nos ambulances et nos hôpitaux, oublient leurs propres douleurs pour se consacrer toutes entières à nos soldats blessés.
Elles sont les sœurs de ces paysannes admirables qui dans nos campagnes, ont assumé à la place de l'absent, le lourd fardeau des travaux des champs et dont le dur labeur fait vivre ce grand pays. »
Ces morts anonymes sont depuis lors enterrés au cimetière du Père Lachaise, dans une tombe offerte par la municipalité de Paris.
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Pour en savoir plus :
Jean-Yves Guiomar, L'Invention de la guerre totale, XVIIIe-XXe siècle, éditions du Félin, 2006
José Cubéro, La Grande Guerre à l’arrière (1914-1919), éditions Cairn, 2007