Généalogie

L’école de votre famille : son histoire grâce à RetroNews

le 24/11/2022 par Tony Neulat
le 15/11/2022 par Tony Neulat - modifié le 24/11/2022

S’intéresser à la généalogie, c’est certes s’attacher à des personnes mais aussi à des lieux. Des lieux de vie, de passage ou de rencontres. Une maison familiale, un commerce, un hôtel de vacances, une entreprise ou encore une école. Dans cette optique, la presse ancienne se révèle une fois de plus une alliée précieuse.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer cette approche de recherche à travers l’exemple d’un commerce. Intéressons-nous cette fois à une école parisienne : celle de Sainte-Elisabeth de Plaisance, qui fête ses 150 ans dans quelques jours. Serons-nous en mesure de découvrir, grâce aux journaux en ligne, quelques faits marquants sur l’histoire de l’école ?

Les éléments de départ de l’enquête sont minces mais tout à fait exploitables :

  • Nous savons que l’école est située au 12 rue Crocé-Spinelli dans le XIVe arrondissement.
  • On peut observer au-dessus de la porte l’inscription suivante : « CRECHE STE ELISABETH DE PLAISANCE ; BARDEL ARCHTE 1872 ; MARSAUD ENT 1872 »

Fort de ces quelques mots-clés de choix – crèche, école, Sainte-Elisabeth, Plaisance, Bardel, Marsaud, Spinelli – que nous ne manquerons pas de combiner à loisir, tournons-nous vers RetroNews. La tentation naturelle de saisir « école Sainte Elisabeth » dans le moteur de recherche est évidemment exclue puisque plus de 204 000 résultats nous sont proposés ! La précision additionnelle « école Sainte Elisabeth Plaisance » n’aide que modérément car le nombre d’extraits de journaux suggérés s’élèvent toujours à plus de 7000… Cumulons les mots-clés à tout hasard : « école Sainte Elisabeth Plaisance Spinelli ». Le nombre de résultats s’effondre à 28 et mérite que l’on s’y attarde.

Avant toute analyse, trions-les par date croissante. Le premier article paru dans Les Tablettes des Deux-Charentes du 23 juillet 1873 met en exergue toutes les limites du moteur de recherche simple. Si les 5 termes saisis apparaissent bien dans la page affichée, ils figurent tous dans des articles distincts : il y est question des « courses de Saint-Maixent », de « yachts de plaisance », de « l’Ecole de cavalerie », de « M. Spinelli, bijoutier au Palais-Royal » et des fiançailles d’Elisabeth-Antoinette-Marie-Berthe Drabier ». Il en est de même de la plupart des articles. Tournons-nous donc vers la recherche avancée, réservée aux abonnés, afin de disposer de davantage de critères de recherche.

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Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiques

Dans ce guide pratique, le généalogiste Tony Neulat vous donne les clés pour naviguer efficacement dans Gallica et RetroNews et partir à la découverte de vos ancêtres.

En savoir plus

Précisons donc que nous recherchons tous ces mots « école Sainte Elisabeth » dans « le paragraphe ». Hélas, le nombre de résultats s’élève à plus de 3500… Tentons « école Elisabeth Plaisance ». 15 résultats s’affichent dont 10 intéressants.

Le premier est paru dans L’Univers du 12 décembre 1889 et nous apprend que :

« Un sermon de charité sera prêché à Saint-Philippe du Roule par le R. P. Quincenet, dominicain, le 15 décembre, troisième dimanche de l’Avent, à trois heures, en faveur des pauvres et des œuvres (écoles Saint Louis et Sainte-Elisabeth, orphelinat de jeunes filles, fourneau économique, vestiaire, sœurs garde malades, etc.) de la paroisse Notre-Dame de Plaisance… »

Deux articles, tirés de La Libre Parole du 31 janvier 1893 et du journal Le Gaulois du 1er février 1893, nous informent que :

« Mercredi prochain, une messe solennelle de Requiem, sera célébrée, à dix heures et demie, dans l’église Notre-Dame de Plaisance, pour le repos de l’âme de M. le marquis de Barthélémy, bienfaiteur de l’école paroissiale Sainte-Elisabeth. »

Il semblerait à la lecture de ces 3 premiers extraits que le bon fonctionnement de l’école Sainte-Elisabeth, du ressort de la paroisse de Plaisance, dépendait en partie des donations en faveur des pauvres et des œuvres.

S’ensuivent plusieurs passages de l’annuaire Paris-Hachette, pour les années 1901, 1902, 1906 et 1912. Ils révèlent que la rue Crocé-Spinelli ne compte pas moins de deux écoles : l’école laïque communale de filles au numéro 1 et l’école libre Sainte-Elisabeth pour jeunes filles au numéro 12. Il s’agira de ne pas les amalgamer au cours de notre enquête ! Par ailleurs, il est précisé qu’il existe également un fourneau économique au même numéro 12, fourneau qui était déjà mentionné dans l’article de 1889.

En constatant la présence de deux écoles dans la même rue, l’une publique et l’autre paroissiale, à cette époque de laïcisation de l’enseignement, je m’imagine déjà leur compétition et leurs querelles de clocher.

Or, 3 articles, publiés dans La Libre Parole du 21 mars 1904, L’Echo de Paris du 22 mars 1904 et le Journal des débats politiques et littéraires du 23 mars 1904 résonnent particulièrement. Ils annoncent le départ, après 25 années de bons et loyaux services, des Sœurs de l’école Sainte-Elisabeth, « victimes des lois et décrets sectaires » [comprendre les lois visant à interdire l’enseignement aux congrégations religieuses]. L’article de La Libre Parole est le plus complet :

Il précise notamment :

« Depuis vingt-cinq ans que l’école était ouverte, les Sœurs s’étaient efforcées de donner aux petites filles qui leur étaient confiées une instruction et une éducation parfaites […] Ces héroïnes de la charité chrétienne ne se contentaient pas d’instruire et d’éduquer les petites filles. Nombreuses étaient les familles pauvres discrètement secourues, et les malades pauvres soulagés.

Nombreux aussi étaient les malheureux qui sans distinction d’opinion ou de religion trouvaient au fourneau économique tenu par les Sœurs quelques aliments bien préparés à un prix plus que modique […]

L’école, l’ouvroir, le fourneau économique, tout est supprimé d’un seul coup. Les malheureux du quartier vont s’en apercevoir. »

Ainsi, l’école de Sainte-Elisabeth, a été administrée par les Sœurs de 1879 environ à 1904 et faisait partie des bonnes œuvres de la paroisse au même titre que l’ouvroir ou le fourneau économique.

Illustration tirée de la revue paroissiale l’Echo de Plaisance d’avril 1899.

Tâchons d’approfondir l’histoire de l’école à l’aide de nouveaux mots-clés : « école Elisabeth Spinelli ».

6 résultats supplémentaires se dégagent, tous issus de l’annuaire Paris-Hachette (années 1899, 1903, 1904, 1908, 1912, 1913). Ils ne fournissent malheureusement aucun renseignement nouveau. L’emploi des mots-clés « école Elisabeth Crocé » fait quant à lui surgir un nouveau résultat, particulièrement tragique, paru dans Le Bourguignon du 21 septembre 1918 :

On y apprend que 16 élèves de l’école, âgés de 9 à 16 ans, ainsi que la surveillante, périssent dans un terrible accident de train dans le tunnel de Lézinnes-Pacy. Une recherche complémentaire à partir des mots-clés « tunnel Lézinnes » donne instantanément accès aux circonstances de l’accident : un train express, le 12062bis est venu percuter l’arrière d’un autre train express à l’arrêt pour cause d’avarie, le 12062. Les détails fournis par les divers journaux sont déchirants :

« Les trois wagons et le fourgon de queue furent littéralement écrasés »

« Les voitures de troisième classe tamponnées étaient bondées de voyageurs et dans la dernière se trouvaient de nombreux enfants des écoles revenant des vacances scolaires. »

« le train ramenait des petits Parisiens au retour des vacances scolaires. »

Malgré ce triste événement, poursuivons toutefois notre enquête, et ce sur de nouvelles bases, en nous focalisant sur les premières années de l’école, alors qu’elle n’était qu’une crèche. Le recours aux termes « crèche Elisabeth Plaisance » ou « crèche Elisabeth Spinelli » n’est guère fructueux. En revanche, la recherche des mots-clés « crèche Sainte Elisabeth », restreinte à la période de publication 1872-1889 (puisque l’on sait d’après un article précédent que l’établissement était déjà une école à cette date) renvoie 12 résultats dont un particulièrement précieux. Il s’agit d’un article de la Gazette nationale ou le Moniteur universel du 5 mars 1875 qui permet non seulement de mieux cerner l’intérêt des crèches à cette époque mais qui précise en outre les circonstances de la fondation de la crèche Sainte-Elisabeth :

« La crèche Sainte-Elisabeth de Plaisance a été construite et fondée par M. l’abbé Blondeau, curé de la paroisse et censeur de la société des Crèches. Elle peut réunir 100 enfants. Le bon pasteur avait été emprisonné comme otage… Il eut le bonheur d’échapper au martyr, et consacra sa fortune à cette fondation pour remercier la miséricorde divine. »

Emparons-nous de ce nouveau mot-clé « Blondeau » pour prolonger notre investigation. La combinaison « crèche abbé Blondeau » est plutôt heureuse. Un article du 11 avril 1873 publié dans L’Ordre de Paris nous apprend ainsi que :

« [...] la crèche de Plaisance, où une cuisine à vapeur a été établie tout dernièrement sous la surveillance de M. l’abbé Blondeau, curé de cette paroisse. Le générateur de cette dernière cuisine fournit non seulement à l’alimentation des indigents du quartier, mais encore aux besoins de la buanderie de la crèche, et permet d’avoir de l’eau chaude à tous les étages de l’établissement. »

En outre, plusieurs articles annoncent la mort de l’abbé Blondeau en juillet 1873 (La Patrie du 23 juillet 1873, La Liberté, Le Constitutionnel, Le Gaulois, Le Petit Moniteur universel du 24 juillet, L’Evénement du 26 juillet). C’est la colonne de La Liberté qui est de loin la plus complète et qui fournit, pour notre plus grand bonheur, tous les détails de la fondation de la crèche :

Les circonstances précises de la fondation de l’école Sainte-Elisabeth, qui fête prochainement ses 150 ans, sont donc à présent parfaitement éclaircies. L’abbé Blondeau, fait prisonnier pendant la Commune, échappe néanmoins in extremis à la mort. Pour remercier la miséricorde divine, il décide de consacrer toute sa fortune, près de 100 000 francs, à la création d’une crèche d’une capacité de 100 à 120 enfants, dans la paroisse de Plaisance dont il est curé, et plus précisément rue des Croisades. Une brève de L’Univers du 18 novembre 1877 permet même de déterminer l’adresse précise de la crèche : 12 rue des Croisades, qui n’est autre que l’ancien nom de la rue Crocé-Spinelli (comme l’atteste notamment Le Rappel du 21 juin 1896).

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Tentons à présent notre chance à l’aide des mots-clés « crèche rue Croisades ». 16 vignettes font leur apparition. 10 d’entre elles, datées du 17 au 29 novembre 1872, se font l’écho de la fondation de la crèche. Citons par exemple L’Ordre de Paris du 18 novembre 1872 :

« Mgr Guibert procèdera, lundi prochain 18, à la consécration d’un immense établissement de bienfaisance dont on achève l’installation rue de la Croisade, 14e arrondissement. Cette fondation, confiée aux sœurs des écoles chrétiennes, comprend une crèche pour 150 enfants et un fourneau où les aliments essentiels seront délivrés, par portions de 5 à 15 centimes, aux nécessiteux de l’arrondissement. »

La crèche est ainsi consacrée (délibérément) le jour de la Sainte-Elisabeth par Mgr Guibert qui n’est autre que l’archevêque de Paris. Sa gestion est confiée aux sœurs des écoles chrétiennes.

Malgré ces superbes découvertes à domicile, une question reste entière : quand la crèche Sainte-Elisabeth est-elle devenue une école ? C’est le sésame « école rue Croisades Plaisance » qui lève le voile. Un bref article du 6 avril 1880, paru dans L’Univers, nous informe en effet :

« Avant-hier également a eu lieu, à onze heures du matin, l’inauguration de l’école libre des filles dirigées par les sœurs de Saint-Vincent de Paul et installée rue des Croisades, 12. Deux cent personnes, accompagnées de leurs enfants assistaient à cette cérémonie, que présidait M. le curé de Notre-Dame de Plaisance. »

Je pourrais évidemment, au risque de vous lasser davantage, déployer des trésors d’imagination pour exhumer quelques détails supplémentaires. Mais à quoi bon ? CQFD comme disent les mathématiciens.

Car n’est-il pas tout simplement merveilleux, grâce à la numérisation et l’indexation de ces milliers de journaux dans RetroNews, de pouvoir retracer l’histoire d’une école dont on ne sait rien au préalable ? De découvrir les circonstances de sa fondation (motifs, coût, date exacte, adresse ancienne, nom du fondateur) ? De connaître tant sa capacité d’accueil que le coût des repas du fourneau économique associé ? D’identifier ses gestionnaires ? D’apprécier son rôle dans la vie de la paroisse ? De déterminer à quel moment elle est devenue une école ? D’être en mesure de nommer l’organisation en charge de l’enseignement ? Et même de pouvoir revivre quelques événements-clés de l’établissement, souvent heureux, parfois tragiques ?

Et tout ceci, confortablement installé devant son ordinateur ?

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Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, Tony Neulat est rédacteur dans La Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur des guides Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiquesRetrouver ses ancêtres à Malte et Trouver des cousins inconnus ou perdus de vue.