1923 : Aux sources de « l'affaire Seznec »
Énigme judiciaire récemment réanimée, l'affaire Seznec prend place en Bretagne, où un homme est accusé d'avoir assassiné son associé. La presse est hystérique.
C’est l’une des plus grandes énigmes judiciaires du XXe siècle. « L'affaire Seznec » débute en mai 1923, quand Pierre Quéméneur, un entrepreneur et conseiller général de Sizun, son canton natal breton, est porté disparu. Rapidement, les soupçons se portent sur la dernière personne à l'avoir vu vivant : Guillaume Seznec, maître de scierie.
Les deux hommes, tous deux issus d'un milieu rural et modeste dont ils ont réussi à s'extirper à force de travail, entretiennent une certaine sympathie et, surtout, des relations d'affaires. Le jour de la disparition de Quéméneur, ils ont tous deux entrepris un voyage à Paris pour une affaire de revente de véhicules d’occasion de fabrication américaine issus de la Première Guerre mondiale, en particulier des camions et des limousines de marque Cadillac, à des représentants de l'Union soviétique.
Bien que le corps de Pierre Quéméneur n'ait jamais été retrouvé, Seznec est soupçonné d'avoir tué son associé pour de l'argent.
Le 24 octobre 1924, le procès s'ouvre aux Assises de Quimper et fait la Une des journaux locaux comme nationaux. C'est peu dire que le mystère Seznec passionne la France.
L'Ouest-Eclair rapporte :
« L'affaire Seznec [...] fait du modeste Palais de Justice de la ville cornouaillaise un lieu de rendez-vous des plus variés et le théâtre des entretiens les plus passionnés. [...]
Dès midi, une affluence mouvante et nombreuse envahit les abords du Palais. »
Au premier jour du procès, Seznec semble quasiment déjà reconnu coupable par une bonne partie de la presse. La France écrit ainsi :
« Conseiller général du Finistère, marchand de bois estimé à Landerneau, M. Pierre-Marie Quemeneur, jouissant d'une aisance heureuse, semblait, devoir mener longtemps la vie paisible qu'il partageait avec sa sœur Jeanne. Il s’absentait souvent. Mais ses absences, toujours brèves, se justifiaient toutes par le soin d’affaires traîtées au grand jour.
Il fallut Seznec, maître de scierie à Morlaix, pour réussir à l’intéresser à cette obscure entreprise de voitures américaines à rétrocéder au gouvernement russe. »
La réputation de l'accusé est mauvaise : décrit comme étant à l'affût d'affaires plus lucratives qu'honnêtes, cet homme à l'accent paysan ne s'attire la sympathie ni de la presse, ni du tribunal.
Tout au long du procès, Guillaume Seznec ne cesse pourtant de clamer, parfois maladroitement, son innocence.
L'Ouest-Eclair :
« Et l'interrogatoire se développe en un dialogue pénible, véritable discussion de faits entre le président et l'accusé. Celui-ci ne perd pas pied, il veut être clair et précise et embrouille plutôt les choses. [...]
Chaque réponse, forte et lancée avec un solide accent finistérien, est ponctuée d'un “là” final. »
Seznec aura durant tout le procès une alliée indéfectible : sa femme, Marie-Jeanne. Le 31 octobre, L'Ouest-Eclair consacre sa Une à sa déposition :
« Mme Seznec est appelée à la barre. Brouhaha et mouvements dans la salle. Mme Seznec entre souriante, elle a mis sa plus belle coiffe, un superbe manteau de skung cache à demi sa taille gainée du velours noir du corselet quimpérois.
Elle ne prête pas serment ; dès le premier mot, on sent qu'elle va se cabrer, défendre son mari avec toute l'énergie dont elle a déjà fait preuve. [...]
Ce disant, elle enlève sa fourrure pour se préparer à la lutte, et il semble qu'elle a déjà inventé trop d'histoires, elle ne sait plus où elle en est et elle se coupe. [...]
D'un geste brusque, Mme Seznec s'assied ; elle parle fort et vite si vite que son accent empêche de comprendre tout ce qu'elle dit. Elle semble en proie à une vive colère contenue. »
Le 4 novembre, l'avocat général, dans un réquisitoire très sévère, réclame la peine de mort pour Seznec.
Là encore, dans un article qui ne laisse aucune doute sur son parti pris, L'Ouest-Eclair rapporte :
« Et en attendant les paroles qui vont tomber de ces lèvres, on se plait à admirer un moment, ce noble magistrat qu'une conviction faite de logique, d'une étude approfondie du dossier, vivement combattue et demeurée ferme, va pousser à demander contre un assassin présumé, la plus effroyable des condamnations. Sa voix haute et claire résonne.
M Guillot avocat général. “Messieurs, vous avez prêté, au début de ces audiences un admirable serment. Ce serment je le répète, et c'est pour cela qu'en mon âme et conscience. devant Dieu et devant les hommes, je vous demande la condamnation de Seznec. [...]”
M. Guillot parle. Il rappelle que la dernière fois qu'on vit M. Quemeneur, il était avec Seznec. M. Qnemeneur n'a pas reparu. C'est à Seznec qu'on doit demander où il est, ce qu'il est devenu. »
Les débats durent huit jours. 148 personnes, témoins, experts et policiers, sont entendues.
Le jury déclare l'accusé coupable du meurtre de Pierre Quéméneur et de faux en écriture privée. Il ne retient pas en revanche les circonstances aggravantes de préméditation, ni de guet-apens.
Seznec échappe à la peine capitale : la cour d’assises du Finistère le condamne aux travaux forcés à perpétuité.
Après vingt-deux ans de bagne à Cayenne, il est gracié par le général de Gaulle en 1946 pour bonne conduite. Il rentre en métropole le 1er juillet 1947, à 69 ans, usé, abîmé par le bagne. Renversé à Paris en novembre 1953 par une camionnette qui prend la fuite, Guillaume Seznec meurt trois mois plus tard, à l'âge de 75 ans.
Sa famille sollicitera la justice dès 1930 pour rouvrir le dossier afin d'obtenir sa réhabilitation. Au total, neuf demandes seront déposées – toutes rejetées.