1932 : Reportage chez les paysans bretons affamés
La crise des années 1930 n'épargne pas la France rurale et en particulier les agriculteurs. L'Humanité consacre une série de reportages aux paysans bretons affamés.
Quand frappe en France la crise financière et sociale des années 1930, le pays est encore largement rural : 50 % de la population vit dans les campagnes. Or, à la fin de l'année 1930, les productions industrielle et agricole s’effondrent. Le chômage s’installe, et le revenu moyen des Français diminue d'un tiers entre 1930 et 1935. Ce sont les petits commerçants et les agriculteurs qui sont les plus touchés.
Une terrible paupérisation touche notamment les paysans bretons. En 1932, L’Humanité en rend compte dans une série de reportages au long cours, notamment dans la petite commune de Plougonver, dans les Côtes-d'Armor. Les descriptions sont minutieuses, les témoignages retranscrits in extenso.
« Cinq ou six maisons et dépendances affaissées, basses, aux murs sans mortier, aux étroites et rares fenêtres. De vieux toits de chaume sur toutes. Nulle part des caniveaux. L'eau, la boue, le purin s'écoulent comme ils peuvent. C'est dans un cloaque noir que l'on patauge dès l'entrée du village. Le sol ici ne “boit” pas l'eau. Elle reste à la surface. Il faudrait tout un réseau de canalisation, d'écoulements des eaux. Les administrateurs communaux bourgeois, inféodés aux curés ou manquant de moyens, trop pauvres ne font rien.
Dans cette boue de purin et d'eau, des cochons, épars, rôdent et grognent. Nous entrons dans une “ferme” par une porte basse. On ne distingue pas bien tout de suite, une fois entrés. C'est une pièce rectangulaire de 5 à 6 mètres, large de 3 ou 4. Une seule fenêtre, carrée, de 60 centimètres de côté l'éclaire un peu. »
Loin de la Bretagne maritime et touristique où se rendent alors de plus en plus de visiteurs, nous sommes ici dans l’une des centaines de fermes que met à la disposition de paysans une grande famille de la noblesse française, la famille de Rougé. Dix personnes, dont huit enfants, y vivent dans un dénuement quasi-total.
« Est-ce un fermier que nous avons devant nous, ou un de ces milliers de chômeurs que l'on rencontre devant les soupes populaires ? Son aspect est le même que ceux-ci. Rasé de huit jours, vêtu de hardes rapiéciées, maigre, tassé sur lui-même, les pieds nus dans ses sabots, c'est sous cet aspect de “clochard” que se présente ce fermier de trente-cinq à trente-six ans.
“Je payais, lorsque je me suis marié, il y a 16 ans, pour cette ferme de huit hectares, 400 francs. Le propriétaire l'a portée successivement à 500, à 1 000. Enfin, il y a trois ans, ça été 2 400”, raconte l’homme. Soit 600% d'augmentation !
Il nous a donné les mêmes chiffres que l'autre fermier sur la vente des produits agricoles. »
Ici comme ailleurs, la réalité est terrible : entre 1931 et 1935, le revenu agricole moyen en France baisse de 25 %. À partir de 1932, les cas de faillite et de saisie se multiplient.
Le fermier poursuit :
« On vend les bêtes 25 à 30 sous la livre, et les plus bas morceaux, chez le boucher, sont à 4 francs. De tout ce que nous produisons, nous ne gardons tout juste qu'un cochon ; c'est tout ce qu'on peut faire, ça nous donne 350 livres de viande et de lard pour l'année, entre dix. [...] Nous ne pouvons manger un morceau de cochon que deux fois par semaine. Les restes, c'est les pommes de terre au lait caillé. Chez tout le monde, c'est pareil.
Et comme boisson ?
Le cidre que l'on fait. On en a pour le tiers de l'année. On boit de l'eau le reste du temps. »
Quelques jours plus tard, 2 000 fermiers bretons manifesteront pour dénoncer les « fermages de la famine ». Sans que leur situation ne s'améliore significativement avant la fin de la décennie.