Écho de presse

Colette : romancière, actrice, mime – et journaliste

le 20/11/2019 par Pierre Ancery
le 20/05/2016 par Pierre Ancery - modifié le 20/11/2019
Photo de l'écrivaine et journaliste Colette dans « Rêve d'Égypte », 1912 - source : Gallica-BnF

La célèbre romancière a publié de nombreux articles dans la presse de son époque. Elle y aborde tous les genres : reportages, billets, chroniques, portraits.

Colette, de son vrai nom Sidonie-Gabrielle Colette, a porté bien des casquettes : romancière bien sûr, mais aussi mime orientale, actrice, et journaliste. C’est à 22 ans à peine, en 1895, qu’elle signe ses premiers articles dans La Cocarde, le journal de Maurice Barrès, puis dans La Fronde, un journal féministe.

Mais c’est dans les années 1910, alors qu’elle a déjà publié quelques romans (dont la série des Claudine et La Vagabonde), que sa plume commence à apparaître dans les grands journaux de l’époque.

En 1912, elle épouse le rédacteur en chef du Matin Henry de Jouvenel. Celui-ci s’engage à lui donner quelques billets et reportages dans son journal. C’est là qu’elle fait paraître à partir d’octobre 1913 son Journal de Colette, chronique hebdomadaire dans laquelle elle aborde des sujets divers, croquant ses contemporains avec malice, en faisant toujours preuve d’un sens de l’observation extraordinairement précis.

Sur les visiteurs venus admirer la Joconde, elle écrit par exemple en janvier 1914 :

"A peine arrivée, Elle reçoit, sans cordialité d'ailleurs. Au seuil, on lit d'un œil soupçonneux nos références ; il est juste de dire que la plupart des intimes qui pénètrent sont armés, objectif en bandoulière et magnésium jusqu'aux dents. Elle est là, sur fond de plantes vertes. Le coin de la bouche et l'angle externe des yeux remontent ensemble, pour lui composer ce sourire intérieur, doux et suspect. Entre deux éclairs de magnésium, les « intimes » s'accoudent devant elle, lui rendent sourire pour sourire, et la détaillent -- pour la première fois.

- Comme Elle reluit ! Est-ce qu'ils l'ont revernie ?

- Et qu'est-ce qu'elle a sur la poitrine, là, entre les seins ? On dirait un coup de couteau... Vous saviez, vous, qu'elle avait la lèvre inférieure aussi grasse ?

- Oui. Mais regardez, cher ami, combien la main droite, celle qui est le moins en évidence, est d'une exécution plus belle que la gauche !... etc., etc.

Ils l'épluchent, la découvrent, l'inventent. Ils veulent l'aimer mieux que pour sa beauté, et parent de faiblesses imaginaires celle à qui rien ne manque, et qui pourtant n'a pas de sourcils."

 

Dans la même rubrique, elle racontera encore, avec le même humour, une visite chez le coiffeur, un voyage dans le Nord, une soirée électorale, une drôle d’interview à sens unique… En juin 1919, elle deviendra directrice littéraire du quotidien.

On retrouve encore Colette dans les pages de Marie-Claire, de La République, du Figaro ou de Paris-Soir. Son style, toujours éloigné du journalisme d’opinion malgré un « je » souvent présent, se veut le plus proche possible du réel. Surtout lorsqu’elle aborde, sur le mode du reportage, des sujets plus graves, telle l’arrestation de la « bande à Bonnot » en avril 1912. À Choisy-le-Roi, devant la maison des bandits qui vont être arrêtés par la police, elle décrit froidement l’obscénité de la foule qui s'est amassée pour assister à la scène :

"Ils sont là-bas… On va les dynamiter… L'exécrable esprit spectateur s'empare de moi, celui qui mène les femmes aux courses de taureaux, aux combats de boxe et jusqu'aux pieds de la guillotine -- l'esprit de curiosité qui supplée si parfaitement au réel courage... Je piétine, je plie le front pour me garer des rafales de poussière...

- Mais, madame, si vous croyez que c'est commode d'y voir quelque chose à côté de quelqu'un qui remue autant que vous !

C'est ma sévère voisine, la mère de famille. Je grommelle et elle me reprend vertement.

- C'est vrai, ça ! Ça ne serait pas la peine qu'on soye là depuis neuf heures ce matin pour que vous vous mettiez devant moi, au dernier moment ! Une place gardée, c'est une place gardée. D'abord, quand on a un si grand chapeau, on l'ôte !

Elle défend son « fauteuil d'orchestre » avec une autorité qui cherche -- et trouve --  l'approbation générale. J'entends derrière moi des cris rythmés de « Chapeau ! Chapeau ! », des plaisanteries qui datent des revues de l'année dernière, mais qui prennent ici une étrange saveur quand on songe à ce qui se passe là-bas..."

 

Morte en 1954, Colette sera la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt (en 1945) et, de 1949 à 1954, la première à en être présidente.