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Esclandre au Moulin-Rouge en 1907 : Colette et une scandaleuse marquise huées sur scène

le 06/02/2024 par Le Petit Journal
le 27/01/2023 par Le Petit Journal - modifié le 06/02/2024

3 janvier 1907, cigarettes, oranges et coussins sont jetés sur les planches du Moulin-Rouge, tandis que résonnent des cris et sifflets. Une marquise divorcée et travestie en homme, Colette Willy laissant paraître des jambes nues... La première de Rêve d’Égypte provoque le scandale.

Dans son édition 4 janvier 1907, le quotidien à grand tirage Le Petit Journal revient sur les événements survenant à l’occasion de la première représentation de la pantomime Rêve d’Égypte qui se tient au Moulin-Rouge la veille au soir.

Colette, encore dite Colette Willy, se retrouve sur les planches aux côtés de son amie, l’extravagante Mme. De Morny. Cette dernière, marquise divorcée et arborant des costumes masculins, crée déjà le scandale au levé de rideau. Lorsque que Colette entre en scène laissant voir ses jambes nues, l'hostilité du public explose.

LA MARQUISE DE MORNY ET Mme COLETTE WILLY ONT ÉTÉ SIFFLÉES ET INJURIÉES PAR LE PUBLIC.

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Tous ceux qui sont au courant des potins de la vie parisienne savent que Mme Colette Willy, femme de M. Willy, l'auteur de romans connus, a, depuis plusieurs mois, abordé la scène et joué dans quelques petits théâtres, puis récemment à l'Olympia.

Ils savent aussi qu'en ces derniers temps Mme Colette Willy fréquentait les premières en compagnie de la femme divorcée du marquis de Belbeuf, qui vient de reprendre son nom de jeune fille et se fait appeler marquise de Morny. Elle est, en effet, la fille du duc de Morny, ministre de Napoléon III.

Mme la marquise de Morny porte volontiers un costume quasi-masculin et ne se cache pas d'habitudes qui paraissent le propre des hommes : on la rencontre souvent, en effet, le cigare allumé aux lèvres. On lui prête des goûts d'artiste et des idées affranchies de préjugés.

Son père, resté célèbre pour l'originalité et la culture de son esprit, se délassait de ses travaux d'homme d’État en écrivant des ouvrages de théâtre dont l'un, M. Choufleuri restera chez lui, est encore représenté de temps à autre.

Par hérédité, sans doute, la marquise, se sentant attirée vers « les planches », a composé une pantomime, Rêve d'Egypte, dont le Moulin-Rouge donnait, hier soir, la première représentation.

Des affiches avaient été apposées sur les murs, annonçant la distribution suivante :

Le savant Mmes Yssim
La momie Colette Willy
La danseuse Dasson
La voix X...

Or, Mme Yssim, c'était la marquise de Morny elle-même et, pour qu'on, n'en ignorât point, son blason était accolé au pseudonyme de l'interprète.

Le spectacle dans la salle

Comme on pense, cette annonce avait produit quelque sensation non seulement dans les milieux artistiques et littéraires, mais encore dans les clubs et dans les divers mondes où fréquentèrent Mme Colette Willy et l'auteur de la pantomime.

Hier soir, la salle du Moulin-Rouge était bondée de curieux, bien que le prix des places eût été augmenté, vu l'attrait spécial du spectacle.

On y voyait, dans les avant-scènes, les plus élégants représentants de l'aristocratie à côté de « petites dames » ; dans les loges et les fauteuils, le « Tout Paris » sceptique et blasé, flairant le scandale possible.

On se montrait M. Henri Rochefort, à qui ce nom de Morny rappelait sans nul doute « la flèche au flanc de l'Empire abattu » ; puis, dans la loge voisine, M. Willy.

Le rideau se lève ; la scène représentait le cabinet de travail d'Yssim, qui, le dos tourné au public, contemplait une momie dressée contre la toile de fond. Le savant, en complet marron, c'était donc Mme de Morny.

Dès qu'elle fit un geste, une bordée de sifflets partit de plusieurs loges ; puis ce furent des cris injurieux qui se calmèrent un instant lorsque Mme Dasson, la gracieuse artiste du Moulin-Rouge, vint danser un pas devant son maître. Mais le tumulte reprit avec violence au moment où, dans une auréole de lumière électrique, apparut Mme Willy les jambes nues.

– À la porte ! rideau ! assez !

Et des apostrophes impossibles à reproduire. Pendant un quart d'heure on n'entendit pas une note de la musique que jouait l'orchestre. Les cris d'animaux, les coups de sifflet, les vociférations dominaient le bruit des cuivres pendant que quelques spectatrices tentaient vainement d'encourager les interprètes en les applaudissant de leurs gants blancs.

Des avant-scènes du premier étage on jetait sur le plateau des cigarettes, des oranges et même des coussins.

La pantomime finit cependant.

À ce moment, M. Willy fut vivement interpellé par plusieurs assistants auxquels il tint tête ; il s'ensuivit une bagarre violente et les agents durent intervenir et protéger sa sortie.