Chronique

L’apparition des petites annonces dans la presse du XVIIIe siècle

le 24/11/2019 par Guillaume Lancereau
le 19/11/2019 par Guillaume Lancereau - modifié le 24/11/2019
Annonce de représentions de diverses pièces de théâtre, 1776 - source : Gallica-Patrimoine numérique de la ville de Valenciennes
Annonce de représentions de diverses pièces de théâtre, 1776 - source : Gallica-Patrimoine numérique de la ville de Valenciennes

Au siècle des Lumières, se multiplient dans les gazettes des pages où sont regroupées pêle-mêle annonces de spectacles, mises en vente d’objets ou demandes en mariage. Ces « avis » constituent un ancêtre des célèbres petites annonces.

Les « petites annonces », qui peuplent désormais notre quotidien sous la forme de notices de presse, de publications en ligne et d’applications mobiles, connurent un véritable âge d’or au XIXe siècle, dynamisées par le développement des quotidiens de masse à faible coût. Mais leur émergence précéda pourtant ce « siècle de la presse » : parallèle à celui du livre, des placards et autres canards, cet essor peut même être considéré comme l’un des piliers d’une série de dispositifs qui contribuèrent à structurer le marché de l’information et accompagner l’extension de l’espace public à l’époque moderne.

Le XVIIIe siècle connut une première généralisation de ce modèle éditorial à l’échelle occidentale. L’Allemagne se couvrit, entre 1720 et la fin du siècle, de presque deux cents feuilles d’avis (Intelligenzblätter), à la fois utilitaires et morales ; de même l’Angleterre accueillait, outre le Daily Gazeteer et le London Daily Advertiser, des titres régionaux d’importance consacrés parfois jusqu’aux trois quarts aux petites annonces, tandis que le phénomène prenait de l’ampleur en terre coloniale avec le Boston News-Letter ou le New York Mercury.

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Des annonces de spectacles aux objets trouvés, des recensions de livres aux emplois à pourvoir, ces feuilles frappent par l’ampleur de leur domaine de compétence. Le discours s’y arrêtait le plus souvent au seuil de la politique, sans s’interdire toutefois les remarques humoristiques sur les pays voisins. Ainsi du Censor de Madrid, en 1781, qui faisait figurer dans sa rubrique d’objets perdus l’annonce :

« Article : la capacité des rois de France à soigner les écrouelles. L’ampoule sacrée de Reims authentique. […] Et autres documents variés, appartenant à la gloire de la nation française et à l’ancienneté de la foi qui y règne.

Que les personnes en possession de ces articles s’adressent aux différents intéressés. »

En France, les premiers jalons d’une presse d’annonces furent posés au XVIIe siècle par Théophraste Renaudot, fondateur dans les années 1630 d’un « Bureau d’adresse » chargé de centraliser les annonces professionnelles, et de la Gazette. L’expérience ne dura pas, dénoncée comme une concurrence déloyale par les Six Corps de marchands de Paris, tandis que la Gazette, dont Richelieu perçut l’intérêt politique, se transforma avec le temps en « Organe officiel du Gouvernement royal ».

Dans le premier XVIIIe siècle, c’est donc sur les murs, sous la forme d’affiches et de placards, que s’épanouirent les petites annonces, parfois réimprimées sous forme de volume. Les Affiches de Paris, des provinces et des pays étrangers (1716) livraient ainsi sous ce format portatif un recueil des affiches glanées sur les murs de la capitale et de quelques autres villes, relatives aux objets les plus divers : informations ecclésiastiques, juridiques ou scientifiques, annonces de spectacles, mais aussi objets trouvés, nouveaux remèdes, inventions mécaniques, « ventes d’Offices, de Terres, de Maisons, de Meubles, de Bibliothèques, de Cabinets, de Tableaux, de Bijoux, etc. ».

Il fallut donc attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour voir les petites annonces s’installer dans la presse française. Après que le libraire Panckoucke eût imaginé de créer un Supplément au Mercure de France consacré aux avis et annonces, son exemple fut imité par le Journal de Paris, premier quotidien français fondé en 1777. Pour la première fois, les responsables des titres de presse entrevoyaient les vastes perspectives financières offertes par la publicité : d’où la naissance du Cabinet des Modes en 1785 ou d’une Gazette du Commerce qui ouvrait ses pages aux commerçants, manufacturiers et autres promoteurs d’innovations techniques.

Loin d’une conception parisiano-centrée de la diffusion culturelle, force est de constater que cette dynamique explosa avec l’irruption, au mitan du siècle, d’une presse régionale publiant les Annonces, affiches et avis divers d’une province, d’un pays ou d’une ville. On y trouvait les annonces culturelles les plus légitimes (des parutions de livres aux spectacles), aux côtés de demandes adressées par des particuliers et d’avis à visée publicitaire. L’utilisateur du site le Bon Coin ne manquera pas d’être frappé de la diversité caractérisant ces annonces d’Ancien Régime.

Dans les Annonces, affiches et avis divers pour la ville du Mans et pour la province, les lecteurs découvrent ainsi en 1776 « trois belles Pendules  […] qui sont dans le dernier goût », du « bon vin blanc » de deux ans d’âge mis en vente par un aubergiste, « un appartement garni à louer présentement » auprès d’un marchand épicier, ou encore « une armoire toute de chêne, avec deux tiroirs fermans de clef » vendue par un avocat.

Certaines publications témoignent par ailleurs de l’aisance financière du public visé par ces annonces, qu’il s’agisse de vendre une charge, un ancien hôpital, une terre ou des bois :

« Mrs les Administrateurs de l’Hôpital Général de cette Ville, font avertir pour la dernière fois, que l’ancien Hôtel-Dieu, dépendant dudit Hôpital, situé près l’Église & Maison du Séminaire de Coëffort, avec le Cimetière, qui fait face à ladite Église, sont à vendre au plus Offrant & dernier Enchérisseur. […]

M. Goussault l’aîné, fait dire que la grande Maison au Bourg de Mulsanne, la petite Maison, avec les Terres en dépendantes, & une Sapinière ; plus, le Lieu & Bordage de la Huonnière, le tout situé Paroisse de Mulsanne ; plus, le Lieu & Bordage de la Bouvetière, sont à vendre ensemble ou séparément […].

Charge à vendre

La Charge de Président au Grenier à sel de Loué en Champaigne. S’adresser à M. de Courteille, rue des petits Fossés au Mans.

Bois à vendre

Plusieurs chênes sur différentes hayes de la terre du Jajolai, située Paroisse de Sillé-le-Philippe ou Brûlé, demie-lieuë du grand-chemin du Mans à Bonnétable. »

Outre ces biens et charges, la rubrique des « Avis divers » fonctionnait comme un espace d’échange de services. Dans des conditions d’information et de marchandisation sans commune mesure avec nos applications de service à la personne, les mêmes Affiches du Mans proposaient déjà de mettre en relation les particuliers en demande d’activité ou offrant un emploi. Le numéro du 9 février 1778 porte ainsi l’annonce d’une « Dame d’un certain âge, demeurant aux environs de la ville », désireuse de « trouver une femme de Chambre, âgée d’une trentaine d’années, qui sçût coudre & blanchir, munie de bons certificats », mais aussi, du côté des demandeurs d’emploi, la liste des compétences d’un « garçon âgé d’environ 43 ans, qui sçait le Jardin & très-bien tirer un coup de fusil ; qui sçait aussi fendre le bois, & est fort fidèle ».

Si ces annonces présentaient de fortes similitudes dans la cinquantaine de villes dotées de ces organes de presse, de fortes variations régionales s’observaient, particulièrement en milieu colonial où les annonces prenaient une tout autre tournure. À sa création en 1791, le prospectus de la Gazette de Saint-Domingue lui donnait pour mission d’annoncer les ventes et locations, les spectacles, les objets trouvés ou perdus, mais aussi les départs pour la métropole, ainsi que les signalements d’« esclaves marrons entrés aux geôles » ou d’« esclaves en marronnage ».

Les numéros postérieurs se couvrirent effectivement de descriptions physiques des esclaves échappés et d’appels à la capture :

« Azor, Congo, étampé DENUGON, âgé d’environ 15 ans, taille de 4 pieds 10 pouces, perruquier, gros de visage & l’estomac large ; parti marron depuis le 20 du mois dernier ; ceux qui en auront connaissance sont priés d’en donner avis à M. Denugon neveu, habitant à Mirebalais.

Hilaire, Sénégalais, étampé PASCAUD, âgé de 19 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cocher & perruquier, d’une assez jolie figure, parti marron des Cayes le 8 Novembre : en donner avis à M. Bordes de Sarrada, capitaine du navire la Rose de Buch, de présent aux Cayes. »

Sur un terrain moins dramatique, cette mise en relation des particuliers pouvait également prendre la forme du courtage matrimonial. Sous la Révolution, deux titres se partageaient cette fonction : le Courrier de l’hymen, feuille ouverte à la politique, et l’Indicateur des mariages, qui faisait figurer sous forme de tableau le descriptif du/de la demandeur.se à gauche, face à celle de la personne recherchée. On y trouvait des annonces particulièrement explicites sur le caractère à la fois amoureux et professionnel de l’union envisagée. Ainsi de ces propositions publiées le jeudi 3 mars 1791 :

« Une veuve âgée de 32 ans, qui a un bon fonds d’épicerie, voudroit trouver un homme de 36 à 40 ans, qui eût 12 000 liv. au moins à mettre dans son commerce, et les connaissances suffisantes pour aider à le faire aller. […]

Un homme de 68 ans, d’un commerce doux, qui a un beau mobilier, et qui jouit de 6 000 liv. de rentes viagères, voudroit épouser une veuve bien née, et d’une humeur agréable. Il lui assurera son mobilier. »

Tout en entretenant le mystère sur l’apparence physique des particuliers, les annonces de ce Grindr ou Tinder avant l’heure ne manquaient pas de faire état d’exigences particulières, au-delà des enjeux financiers ou professionnels. Les envies géographiques figuraient ainsi en bonne place dans la rubrique de rencontres du Courrier de l’hymen, avec une « dame habituée à vivre à la campagne » qui « se fixeroit volontiers dans la capitale », une veuve rêvant d’habiter « dans un port de mer », ou au contraire un prétendant installé à deux lieues de Paris, en quête d’une compagne « qui préférât la vie champêtre à une vie bruyante ».

Une autre préoccupation portait sur l’éducation et le caractère de l’être concerné : une « demoiselle bien née » de 24 ans ambitionnait ainsi de rencontrer un jeune homme « d’un caractère doux & sensible ». Enfin, si l’ère n’était pas encore au partage des hobbies, certaines passions semblaient trop essentielles pour demeurer indifférentes dans le choix d’une l’âme sœur, comme chez ce militaire de 45 ans, jouant de plusieurs instruments et désirant par conséquent une demoiselle ou veuve « qui possédât un peu de musique ».

Ces annonces n’étaient pas de nature politique : indépendamment même de la censure, là n’était pas leur objet. Ce n’est qu’à la veille de 1789, avec les troubles de Rennes et de Grenoble, que les Affiches régionales s’autorisèrent quelques lignes timides sur ces événements ou les États Généraux. Mais cette pratique éditoriale ne resta pas entièrement hermétique au bouillonnement révolutionnaire.

Si cette période continua d’accueillir les annonces traditionnelles, la proportion des biens mis en vente évolua fortement, en particulier sous la Terreur. Alors que les ventes de chevaux et de voitures représentaient le tiers des annonces en juillet 1790 dans le Journal général de France, ces possessions aristocratiques, associées à une mode anglaise, tombèrent à 7,5% des annonces fin 1793. Une autre catégorie de biens connut une progression spectaculaire : les produits de luxe, dont l’apparition sur le marché, due à l’émigration et aux condamnations, tranchait singulièrement avec les difficultés d’approvisionnement et les restrictions générales.

D’autres biens de consommation courante furent aussi affectés par la Révolution, à commencer par l’habillement : les annonces publicitaires du Supplément au Journal de Paris présentaient au public de 1793 les dernières « redingotes à la républicaine » et autres « robes rondes à la carmagnole ».

La Révolution transforma aussi la rhétorique des notices publiées dans ces feuilles désormais couvertes d’annonces de pièces de théâtre patriotes et de chansons flétrissant les tyrans, les prêtres et les aristocrates. La dynamique révolutionnaire produisit ses propres normes de certification : aussi ne suffisait-il plus, pour être embauché ou trouver un logement, de se dire de bonne famille et suffisamment qualifié, car à ces qualités s’ajoutait une exigence de morale politique. C’est ainsi qu’un citoyen désireux d’exercer ses fonctions de comptable à Paris ou pour l’armée insistait non seulement sur sa probité « à toute épreuve », mais aussi sur son caractère de « bon patriote ».

De même, qu’il faille y voir le signe d’un engagement civique sincère ou une crainte du soupçon politique, certaines annonces de logement insistaient sur la conformité politique des deux parties contractantes :

« Une citoyenne bonne patriote, occupant près du Luxembourg, dans une rue en bon air, un Logement trop considérable pour elle, offre de céder, pour Germinal, à une personne de l’un ou de l’autre sexe, honnête & bonne républicaine, une chambre & un petit Cabinet garnis, avec Pension même si cela convient. »

Loin du caractère anecdotique qu’on pourrait spontanément leur suspecter, les petites annonces du XVIIe siècle témoignent à la fois de l’essor culturel des Lumières et des diverses dimensions d’une « culture de la curiosité » naissante. Qu’elles trahissent les contradictions d’une société esclavagiste ou les mutations de la sociabilité politique révolutionnaire, ces annonces de presse fonctionnent de surcroît comme un puissant révélateur des évolutions politiques et culturelles de leur temps.

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Guillaume Lancereau est doctorant en histoire contemporaine à l’EHESS au sujet de l’historiographie de la Révolution française sous la Troisième République. Il participe notamment au blog Echos des Lumières.

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Pour en savoir plus :

Stephen Botein, Jack R. Censer & Harriet Ritvo, « La presse périodique et la société anglaise et française au XVIIIe siècle : une approche comparative », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 32, n°2, 1985, p. 209-236.

Natacha Coquery, Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, éditions du Comité historique et scientifique, 2011.

Natacha Coquery, « Révolution, luxe, consommation : les petites annonces commerciales sous la Terreur », dans Jean-Paul Barrière, Régis Boulat & Alain Chatriot (dir.), Les trames de l’histoire. Entreprises, territoires, consommations, institutions. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Daumas, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2017, p. 432-443.

Gilles Feyel, « Ville de province et presse d’information locale en France, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », dans Christian Delporte (dir.), Médias et villes (XVIIIe-XXe siècle), Tours, Presses universitaires François Rabelais, 1999, p. 11-36.

Gilles Feyel, L’annonce et la nouvelle. La presse d’information en France sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire Foundation, 2000.

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