Ces annonces n’étaient pas de nature politique : indépendamment même de la censure, là n’était pas leur objet. Ce n’est qu’à la veille de 1789, avec les troubles de Rennes et de Grenoble, que les Affiches régionales s’autorisèrent quelques lignes timides sur ces événements ou les États Généraux. Mais cette pratique éditoriale ne resta pas entièrement hermétique au bouillonnement révolutionnaire.
Si cette période continua d’accueillir les annonces traditionnelles, la proportion des biens mis en vente évolua fortement, en particulier sous la Terreur. Alors que les ventes de chevaux et de voitures représentaient le tiers des annonces en juillet 1790 dans le Journal général de France, ces possessions aristocratiques, associées à une mode anglaise, tombèrent à 7,5% des annonces fin 1793. Une autre catégorie de biens connut une progression spectaculaire : les produits de luxe, dont l’apparition sur le marché, due à l’émigration et aux condamnations, tranchait singulièrement avec les difficultés d’approvisionnement et les restrictions générales.
D’autres biens de consommation courante furent aussi affectés par la Révolution, à commencer par l’habillement : les annonces publicitaires du Supplément au Journal de Paris présentaient au public de 1793 les dernières « redingotes à la républicaine » et autres « robes rondes à la carmagnole ».
La Révolution transforma aussi la rhétorique des notices publiées dans ces feuilles désormais couvertes d’annonces de pièces de théâtre patriotes et de chansons flétrissant les tyrans, les prêtres et les aristocrates. La dynamique révolutionnaire produisit ses propres normes de certification : aussi ne suffisait-il plus, pour être embauché ou trouver un logement, de se dire de bonne famille et suffisamment qualifié, car à ces qualités s’ajoutait une exigence de morale politique. C’est ainsi qu’un citoyen désireux d’exercer ses fonctions de comptable à Paris ou pour l’armée insistait non seulement sur sa probité « à toute épreuve », mais aussi sur son caractère de « bon patriote ».
De même, qu’il faille y voir le signe d’un engagement civique sincère ou une crainte du soupçon politique, certaines annonces de logement insistaient sur la conformité politique des deux parties contractantes :
« Une citoyenne bonne patriote, occupant près du Luxembourg, dans une rue en bon air, un Logement trop considérable pour elle, offre de céder, pour Germinal, à une personne de l’un ou de l’autre sexe, honnête & bonne républicaine, une chambre & un petit Cabinet garnis, avec Pension même si cela convient. »
Loin du caractère anecdotique qu’on pourrait spontanément leur suspecter, les petites annonces du XVIIe siècle témoignent à la fois de l’essor culturel des Lumières et des diverses dimensions d’une « culture de la curiosité » naissante. Qu’elles trahissent les contradictions d’une société esclavagiste ou les mutations de la sociabilité politique révolutionnaire, ces annonces de presse fonctionnent de surcroît comme un puissant révélateur des évolutions politiques et culturelles de leur temps.
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Guillaume Lancereau est doctorant en histoire contemporaine à l’EHESS au sujet de l’historiographie de la Révolution française sous la Troisième République. Il participe notamment au blog Echos des Lumières.
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Pour en savoir plus :
Stephen Botein, Jack R. Censer & Harriet Ritvo, « La presse périodique et la société anglaise et française au XVIIIe siècle : une approche comparative », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 32, n°2, 1985, p. 209-236.
Natacha Coquery, Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, éditions du Comité historique et scientifique, 2011.
Natacha Coquery, « Révolution, luxe, consommation : les petites annonces commerciales sous la Terreur », dans Jean-Paul Barrière, Régis Boulat & Alain Chatriot (dir.), Les trames de l’histoire. Entreprises, territoires, consommations, institutions. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Daumas, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2017, p. 432-443.
Gilles Feyel, « Ville de province et presse d’information locale en France, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », dans Christian Delporte (dir.), Médias et villes (XVIIIe-XXe siècle), Tours, Presses universitaires François Rabelais, 1999, p. 11-36.
Gilles Feyel, L’annonce et la nouvelle. La presse d’information en France sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire Foundation, 2000.